Je ne savais pas par où commencer. Stéphanie. Sophie. Célia. Armand.
Le danger devenait un brouillard étouffant, un marécage dont je devais trouver le moyen de m'extirper au plus vite. Mes tempes bourdonnaient sous les coups d'une pulsation désagréable. Des flashs ravivaient le souvenir des battements de cœur assourdissants de la veille. Le cœur du paon. La relique d'Axel. Ce rêve. Cette folie.
Mais que s'était-il passé en 2001 ? Qui avait tué Sophie ? Pourquoi ? Qui était Armand ? Et quel était le rôle de Stanis dans tout ça ? En avait-il un ? Et le rôle d'Axel...? Si tant est qu'Axel soit réel.
Une seule chose était sûre. Tout ramenait incontestablement à cette chapelle.
Il était 18h30. Je tournais en rond chez moi. Mon ordinateur allumé. Sans bien savoir quoi chercher. J'avais rendez-vous à 19 heures avec Julien au café l'Idéal mais qu'allais-je lui raconter ? Que pouvais-je lui confier sans qu'il me juge bonne pour l'asile ?
Je pensais sans répit à Célia. J'avais l'intuition qu'elle était menacée et qu'il fallait faire vite. J'avais tenté de joindre mon amie, mais comme je le craignais, elle ne m'avait donné aucune réponse. Je m'étais rendue à son appartement, et avais sonné en vain pendant une demi-heure.
Où était-elle ? Et si je contactais Stanis ? Oui. Il répondrait, il me dirait qu'elle était avec lui, que tout allait bien, m'en donnerait des preuves, il me la passerait même au téléphone pour me rassurer... Ou peut-être qu'au son de sa voix, je percevrais la nature de la situation, tout simplement... Peut-être...
Non. Tout ceci était absurde. Autant que l'idée d'alerter la police ou la gendarmerie.
Trop de questions, trop d'informations, trop de folie.
Me concentrer. Ne pas penser à Axel. Ne pas penser au paon, à la broche, aux pierres gravées, aux temps anciens, aux reliques, aux rêves de festins de sang et de sexe. Aux voiles et aux velours parfumés. La vie était ici et maintenant. La mort peut-être aussi.
Les flashs s'engouffraient en rafale dans mon esprit, prêts à ravager mes dernières lueurs de lucidité. Ma raison vacillait. Elle n'était plus qu'une toute petite flamme chevrotante.
Le besoin vital de retrouver Axel. Ses mains, sa bouche, son sexe en moi.
J'en venais à douter de son existence même. Ou de l'existence de ce monde-ci. Je devenais folle.
A 18 heures 55, j'étais devant un café noir à l'Idéal. Julien était arrivé échevelé, un dossier rouge dans la main.
"J'ai d'autres photos à te montrer."
Il s'était installé et avait jeté le dossier sur la table.
"Ouvre. Tu vas halluciner. "
Le cœur battant, j'avais soulevé les élastiques qui maintenaient fermée la serviette rouge. Je me sentais dans un état de semi-conscience, comme bloquée entre deux mondes.
"Tu te souviens des photos que j'avais prises lors de ma première visite à la chapelle. On m'avait expressément demandé de ne pas les publier... Ça m'a donné une idée. J'ai fouillé des vieilles boites qui trainaient dans l'ancien labo photo. J'ai repéré les dates qui pouvaient correspondre et bingo. J'ai déniché les épreuves archivées par les journalistes de l'époque. Pas mal de pigistes comme nous. Celles-ci ont été prises par un certain Jean-Baptiste Reynaud. J'ai cherché sur le net, évidemment. Disparu dans la nature. J'ai juste trouvé des homonymes qui n'avaient clairement rien à voir avec le mec.
- Rien de rien ?
- Nada. Le mec est un fantôme. En tout cas sur internet. Mais regarde plutôt les photos que j'ai imprimées."
Le dossier contenait plusieurs clichés du reportage chez les parents de Stéphanie Berthaud. Sur certains, on voyait exactement les mêmes personnes, dans des poses légèrement différentes. Armand était assis les bras croisés, dans un des fauteuils du salon. Il avait toujours le même air de circonstance, la mine attristée, le regard dans le vide. Il semblait ne rien regarder en particulier, ni la table basse, ni la photo de la jeune-fille, ni même l'objectif. Était-il si triste ? Difficile à dire. En réalité, son expression était neutre. La tristesse qu'on y voyait découlait simplement de celle qu'on lisait sur les traits des autres.
D'autres photos paraissaient avoir été prises dans le but de faire des ajustements techniques, pour adapter la lumière, régler les différentes valeurs de l'appareil. Les gens y étaient pris sur le vif, en train de s'installer et de discuter entre eux. Le but n'était ni esthétique ni informatif, juste utilitaire.
"Regarde celles-ci de plus près, Jeanne. Regarde bien.
- Ce sont les mêmes dans des positions différentes. Je ne vois pas ce que tu veux que je remarque.
- Là. A gauche du buffet. Avec la cigarette. Fais marcher ton imagination. "
Armand était photographié debout, dans ses vêtements clairs de premier de la classe, discutant avec une silhouette sombre qui était coupée par le bord de l'image, légèrement de dos. Une main levée vers le visage tenait entre l'index et le majeur une cigarette à moitié consumée. Chemise blanche près du corps et jean noir. Un corps d'homme, mince mais musclé. On ne discernait qu'une infime partie de son visage, à peine un demi-profil. Sur un autre cliché, l'homme était visible en entier, mais complètement tourné vers Armand, et en observant sa chevelure très brune, descendant aux épaules, j'avais réprimé un frisson.
" J'ai aussi quelques agrandissements d'un détail."
Julien m'avait tendu d'autres photos qu'il avait sorti d'une enveloppe à part. Il avait étalé sur la table les agrandissements et une dernière image prise le jour du reportage. Les participants étaient installés, encore un peu en désordre dans le canapé et les fauteuils.
"Regarde. Au dessus du buffet, vers le coin gauche de la pièce, il y a un miroir.
- Effectivement, je ne l'avais pas remarqué tout à l'heure.
- Ouvre grand tes yeux."
Il me montrait alternativement cette glace, au cadre en rotin, insignifiante, ordinaire, et les agrandissements, dans des teintes différentes, qu'il avait pu produire avec les épreuves originales. Sur l'image de base, on distinguait à peine une forme sombre. A mesure que les images défilaient sous mes yeux, un visage émergeait de la brume. En modifiant l'exposition de la photo, la balance des blancs et le contraste, Julien avait réussi à rendre visibles ces lignes obscures.
Une vision, fatale, se dégageait maintenant. Sans doute la personne sur laquelle les yeux d'Armand étaient fixés.
Stanis.
Mais un Stanis parfaitement identique au Stanis d'aujourd'hui. Il ne présentait pas la physionomie du jeune homme sortant tout juste de l'adolescence, comme son ami Armand. C'était un homme adulte de trente ans.
Julien me regardait et attendait ma réaction.
Devant mon hébétude, il avait sorti une dernière photo. C'était l'une de celles qu'il avait prises lui-même à la chapelle. Une photo du Stanis actuel.
"Jeanne, tu trouves pas ça dingue ? Ces photos ont plus de quinze ans ! Tu le reconnais ? C'est Stanis Molnar. T'as vu ça ? Pas une ride. Soit c'est le botox, soit... Ce mec doit être un putain de vampire."
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Le clavier vampire
Paranormal" Qu'est-ce que tu es ? - Je suis ce que je suis." Fantastique et érotisme, histoire et secrets, se croisent dans le récit vénéneux d'un amour incandescent, où rêves et réalité se chevauchent dans une atmosphère de fièvre nocturne. Attention, de no...