25 : Deuxième interlude - Paris, 1784

536 25 3
                                    

Elle s'était mise à trembler de tous ses membres. Celui qui marchait vers elle, elle le connaissait. Le vicomte Molnar. 

Elle l'avait rencontré plusieurs fois déjà. D'abord au salon de la marquise d'Albiac. Un cercle littéraire et artistique où se mêlaient mondains soucieux de leur réputation, et amateurs d'art et d'esprit, de conversation ou de musique. La marquise arrangeait des dîners où elle faisait servir les mets les plus étonnants, organisait des concerts, proposait jeux intellectuels et divertissements galants. Grands aristocrates fortunés, mais aussi poètes désargentés, ou peintres tout juste sortis de l'école - Madame d'Albiac aimait venir en aide aux artistes qu'elle pensait prometteurs - pouvaient ainsi lier connaissance, partager la table et échanger des idées, voire profiter d'un engagement. Ces derniers amenaient fantaisie et irrévérence dans cette société toujours polie. On y philosophait et on y débattait, autour des idées de messieurs Rousseau ou Montesquieu, on y jouait du théâtre parfois, Marivaux ou Beaumarchais. Elle, Louise Guillaumin, elle y était lectrice. On lui demandait de lire les textes de Restif de la Bretonne, Lesage, Laclos parfois, quand la soirée prenait un tour plus libre. Un jour, un des participants avait réclamé Thérèse Philosophe de Boyer d'Argens, et un autre lui avait mis dans les mains un des ouvrages de ce marquis de Sade, dont elle savait qu'il croupissait au donjon de Vincennes. La marquise lui avait interdit d'en déchiffrer une ligne, ce qui avait soulagé son embarras, mais madame avait néanmoins gardé le livre. Elle lui avait demandé à la place de leur faire la lecture d'un passage des Mille et une nuits tous les soirs au moment du dessert. Louise savait toujours captiver son auditoire. Son roman préféré était Le diable amoureux, de Cazotte. Dans cette histoire, un jeune homme, Alvare, se laisse séduire par Belzébuth, qui lui apparaît sous les traits d'une femme, la gracieuse Biondetta. Elle aussi, elle se serait laissée charmer par le démon. Madame d'Albiac aimait la douceur de sa voix, qu'elle savait rendre grave ou malicieuse en fonction du texte, et son intelligence des lettres. 

Le vicomte Molnar était un des habitués du salon de la marquise. Il était réclamé dans les meilleures sociétés. Mais l'appartement de la marquise avait sa préférence. On les disait amants. Le plus bel esprit du cercle, disait-on aussi. Brillant, élégant, admiré, convoité, désiré, jalousé, craint aussi. Les femmes se seraient damnées pour lui. Damnées. Elle aussi s'était laissée envoûter par ses traits délicats et ses paroles enjôleuses. Mais elle savait qui il était. Elle l'avait appris à ses dépens. Et elle savait, à cet instant, ce qu'il allait faire.

Il avait ôté sa capuche et lui offrait maintenant son visage. Comme à chaque fois, et malgré la situation, elle ne put s'empêcher d'être subjuguée par sa beauté. Ses longs cheveux noirs, ses yeux clairs, pénétrants, emplis de sensualité. Son sourire railleur, qui révélait des dents de fauve. 

Tandis qu'il s'approchait d'elle, les autres hommes avaient formé un cercle autour d'eux. Immobiles et silencieux, mais menaçants, ils allaient assister à la cérémonie.

"Pourquoi cherches-tu à fuir ? Ma petite tourneuse de pages. Tu m'as déjà offert l'intimité de ton con. L'as-tu oublié ? Réponds.

- Non, je n'ai pas oublié.

- A la bonne heure ! Mes amis, regardez cette exquise petite sotte. Elle est délicieuse, croyez-moi. Son miel avait même un parfum de Hongrie. N'est-ce pas amusant ?

- Je vous en prie, laissez-moi partir.

- Et tu feras ce que je voudrai, c'est ça. Hahahaha, ce ne serait pas un grand sacrifice, à mon avis. Tu es déjà ruisselante et ouverte. Tu crois que je ne le sais pas ? Petite putain. Réponds.

- Je sais que vous le savez."

Elle se tenait droite face à son bourreau, mais elle sentait que ses jambes vacillaient, qu'elles allaient la trahir, et qu'elle allait s'effondrer sur les pavés froids de la rue.

"Dis-moi dans quel état tu te trouves, petite putain. Donne moi les détails. Parle."

Les larmes lui étaient montées aux yeux. Chancelante, en articulant chaque mot avec difficulté, elle avait obéi.

"Je tremble, monsieur. Mais mon corps abuse mon esprit et ma raison. 

- Dis-moi comment. Obéis.

- Je sens que mes cuisses sont moites et chaudes. Le suc de mon sexe se répend jusque le long de mes bas, sans que je le veuille... Mon temple vous est offert."

Elle avait étouffé un sanglot, presque un cri.

"Hahahahaha comme c'est charmant. Admets que tu attends juste que je te besogne bien profondément avec ma verge bien tendue. Je bande déjà ma très chère, je bande déjà. 

- Laissez-moi partir, supplia-t-elle."

Le rire de l'homme avait cessé. Avec brutalité, il avait élevé la voix.

"Déshabille-toi, petite putain."









Le clavier vampireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant