45 : La nuit

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En rentrant dans la voiture, j'avais consulté mon portable et j'avais constaté quatre appels en absence de Célia, et un texto :

"Rappelle-moi."

J'avais autre chose en tête que Célia, et je m'en occuperais plus tard. Il faudrait de toute façon que je lui fasse le récit de ma rencontre avec Axel, de l'hôtel, du château, des Haros, sans parler de ce qui était encore à venir dans la nuit... Je ne sentais plus la fatigue, l'ivresse de la fête donnait encore à mes pensées une couleur voilée et vacillante, mais je me recentrais sur une seule chose : le lien. Et je m'apprêtais à plonger du haut de la falaise. 

Axel s'était installé à son tour et en un instant, il avait saisi ma main, m'avait attiré à lui et m'avait embrassée. Il s'était emparé de mes lèvres brutalement, s'engouffrant dans ma bouche avec fureur, happant ma langue, l'emprisonnant de la sienne. Ce baiser était un tsunami. Une vague gigantesque m'engloutissait toute entière. Le plongeon m'entraînait dans des profondeurs vierges, dans un tremblement interne, un bouillonnement primordial qui abolissait tout le monde extérieur, renversé par le macrocosme organique de ma chair. 

"Tu as raison, Jeanne. Rentrons vite, le plus vite possible. 

- Ta langue... Encore... "

Il m'avait embrassée à nouveau, me pénétrant ainsi déjà, entrant dans mon intimité, affolant tous mes sens, me laissant liquide, abandonnée, mais torturée par le désir qui se répandait dans mon ventre. 

Il chuchotait : 

"Je veux que tu attendes, mon amour. L'hôtel, la chambre, rien que nous deux. Je veux ton corps nu, comme la Vénus d'Artemisia. Je te veux somptueuse dans la plus simple des nudités. Je veux te regarder d'abord. Offre-moi ce spectacle. Celui de ton désir, de l'effervescence de ta chair, des frissons sur tes seins, de ton souffle court, des fluides de ton sexe."

Le trajet du retour m'avait paru à la fois long et très court. J'avais perdu toute notion du temps, et l'espace s'était dissout. Ne restait qu'un écran noir, celui de l'attente. Et puis tout à coup, la chambre d'Axel. 

Un tourbillon de bleu, de vert bronze, de soieries, de satins, de tissus mordorés. Les couleurs du paon tout autour de nous. Je suis aimantée au regard d'Axel. Captive et affranchie en même temps. 

Ce qui sépare le passé, le présent et le futur n'existe plus. Le temps et l'espace se fondent l'un dans l'autre. L'instant se dissocie de toute réalité, dans une abolition de ma conscience et de ma pensée. Je ne suis que sensations. 

Axel me retire mon manteau. Il se tient derrière moi, et doucement, soulève mes cheveux et embrasse ma nuque. Ma tête part en arrière et il embrasse mon cou. Ses lèvres diffusent en moi l'opium qui me soustrait à toute volonté, et me soumet à la sienne. Je sens les boutons de sa chemise qui appuient contre mon dos nu, ses doigts qui sillonnent ma peau, et bientôt ses mains qui défont les attaches de ma robe. Je devine les pointes de mes seins, nus sous le satin, qui durcissent sous la frôlement du tissu dont il me dépouille. Un frisson qui innerve tout mon épiderme.

Je suis allongée sur le lit. Entièrement nue. Axel est assis dans un fauteuil blanc. Face à moi. Ses yeux ne me quittent pas. Je suis le spectacle. Ses mains agrippent les accoudoirs. Sa bouche est entrouverte. Ses lèvres se retroussent sur des canines prédatrices. Mon sang circule plus vite, il bourdonne dans mes veines, je le sens parcourir chaque parcelle de moi-même. Mes orteils d'abord, mes mollets, mes genoux, mes cuisses, mon sexe, mon ventre, remontant jusqu'à la racine de mes cheveux. Le fourmillement persiste au creux de mon sexe. 

"Je veux que tu te caresses pour moi. Lentement."

Je fais ce qu'il dit. Mes jambes sont écartées, mon intimité offerte, ruisselante. Il a gardé son costume. Les flots de volupté arquent mon corps, cambrent mes reins. Il se mord les lèvres. Je ferme les yeux. 

Je les ouvre, et il est nu, à son tour. Il est debout, face à moi. Son sexe est dressé, puissant, implacable. Je m'assois au bord du lit et le prends entre mes lèvres. Ma langue effleure son extrémité, aiguise sa raideur, puis investit la hampe, jusqu'à l'introduire dans ma bouche, et l'exciter jusqu'à provoquer des soupirs de plaisir. Il prend mon visage entre ses mains, repousse doucement mes lèvres et murmure :

"Regarde."

Au-dessus de nos têtes, la rosace de plâtre qui trône au milieu du plafond semble s'animer, d'abord imperceptiblement, puis plus distinctement. Mes yeux grands ouverts contemplent sa métamorphose. Elle prend vie. Les molécules de gypse deviennent molécules de chair végétale. Les rameaux et les feuilles se déploient, verdissent, courent vers les angles de la pièce. Des lianes épineuses envahissent la surface entière du plafond, et commencent à ramper le long du brocard des murs. 

Axel m'a poussée sur le lit. Ses baisers profonds, souples, impétueux me font sombrer dans des étendues chaudes et liquides. Ils glissent de ma bouche à mes seins, de mes seins à mon ventre. Je me tors de désir. De mon ventre à mon sexe. Longuement, sa langue me titille, m'explore, m'emmène au bord du gouffre de la jouissance. Plusieurs fois, il s'arrête, me laisse reprendre mon souffle, puis recommence, pour s'interrompre à nouveau, me laissant dans ces limites, le corps supplicié, implorant la délivrance. 

La végétation envahit la pièce, la transforme en jardin odorant, en jungle frémissante. Des parfums de floraison, de futaies, de mousses, imprègnent l'air. Des bourgeons naissent et éclosent, des efflorescences apparaissent et le rouge des boutons de roses se mêle à la chlorophylle du feuillage. Les bruissements des tiges qui s'entrelacent, des limbes qui se caressent, se greffent au froissement des draps auxquels je m'arrime pour ne pas couler. 

Axel est remonté vers ma bouche, il m'embrasse encore, et encore, et son corps ondule maintenant contre le mien. Bientôt, il se pousse en moi, me pénètre avec douceur, avec tendresse, créant des vagues nouvelles de volupté. Mes reins accompagnent chacun de ses mouvements. Les fibres de mes muscles se gorgent d'une essence nouvelle. Il augmente peu à peu le rythme, et s'enfonce plus fort, avec vigueur, loin en moi. Je m'agrippe à ses épaules, à son dos, j'empoigne ses fesses pour l'emmener plus profondément. Le plaisir déborde ma chair, déferle dans mes veines. Je ne suis plus que matière.

Des craquements remplissent la chambre, les sarments grossissent et se tordent, les aiguillons griffent le bleu des tentures, les fleurs grandissent. Les calices s'écartent. Les roses s'épanouissent et révèlent des corolles pleines, éclatantes. 

Soudain ses lèvres quittent les miennes et se rapprochent de mon cou. Je sens la morsure de ses dents qui entament ma peau. Cette pénétration d'un autre ordre m'arrache des gémissements de volupté. Mes veines palpitent, deviennent des tunnels de sensualité, des galeries d'ivresse. Ce délice nouveau me fait rompre un peu plus avec le monde extérieur. Je ne suis plus que plaisir. Et tandis qu'Axel se repaît de mon sang, cette déchirure dans ma chair ouvre une brèche plus large encore vers une autre dimension, inconnue et extatique, celle de mes nuits de songes. 

Autour de nous, les tiges bruissent de cette sève qui navigue en elles. Elle irrigue chaque atome de la plante. Les pistils palpitent de vie, et les roses fécondent d'autres roses. Le parfum des fleurs se propage dans l'atmosphère, il se mêle à celui du sexe, de la sueur, de tous les fluides de nos corps. Il se fait entêtant, débordant, il envahit tout.      

Les va-et-vient du sexe d'Axel se font plus rapides, amples et puissants. Il me baise avec frénésie, comme un forcené. Mes mains se cramponnent à lui, les muscles de mes bras, de mes cuisses qui l'enserrent se tendent presque jusqu'à la tétanie. Nous n'existons plus que par les sens et le plaisir, abandonnés à nous-mêmes, trempés de sueur, souillés de sang. Mes halètements et mes cris couvrent les grincements des branchages et les appels des fleurs. Et brutalement, une explosion. C'est l'orgasme tant attendu, d'une violence folle. Ma respiration se coupe un instant, pour repartir dans une immense inspiration, comme un noyé qui absorbe éperdument l'oxygène dont il a manqué. Comme dans mon rêve, Axel se fond en moi, m'emplit de toute sa jouissance, fusionne avec mon propre corps, disparaît dans la communion de notre plaisir. Le lien est là. 

Et autour de nous, la chambre toute entière - le plafond, les murs, le sol de la pièce - est recouverte de roses d'un rouge sang, éclatant, riche, magnifique, et un paon immaculé déroule toute la splendeur de ses plumes au pied du lit. 

Le clavier vampireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant