50 : Le cœur qui palpite

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Le 4x4 s'était engagé dans le sentier encombré de ronces. Tandis que la voiture se frayait un chemin à travers les branches, les aiguillons des arbrisseaux griffaient la carrosserie. Ils produisaient des crissements sinistres qui résonnaient comme autant de hurlements étranglés, comme autant de plaintes éperdues. Axel était silencieux, impénétrable, concentré sur le volant et le levier de vitesses. Je m'accrochais au siège pour résister aux cahots du chemin et, surtout, pour contenir ma peur. Que voulait-il de moi ? Devais-je tenter de fuir ? Collaborer ? Des pensées lancinantes traversaient mon esprit, j'avais l'impression d'être dans un mauvais film. Son profil lisse se découpait sur le fond sombre formé par la végétation serrée que nous traversions. Je ne voyais qu'un masque. Un masque de dureté, où perçaient colère, fureur, haine. J'étais paralysée, crispée sur mon siège, incapable de parler, incapable de bouger.

En regardant à travers la vitre, j'avais aperçu dans le sous-bois des tâches de couleur. C'était les restes des bandes jaunes utilisées par la gendarmerie nationale pour délimiter la scène de crime. Personne, bien sûr. Nous étions seuls. Apparemment en tout cas. 

Nous avions enfin atteint la chapelle. Il avait arrêté le moteur, garant sommairement la voiture sur la partie empierrée qui formait une petite esplanade devant la porte d'entrée. Le site n'était pas différent de la fois précédente. Les murs recouverts de lierre ne trahissaient rien de ce qui s'était passé ici. Je repensais à notre escapade avec Julien, à notre rencontre avec le vieil homme... Si j'avais su... 

"Reste dans la voiture pour l'instant", m'avait ordonné Axel.

Il était sorti, les clés serrées dans la main droite, et j'avais obéi. Qu'aurais-je pu faire d'autre ? Fuir ? Je me sentais plus en sécurité dans l'habitacle malgré tout rassurant du SUV qu'au milieu de cette végétation envahissante, étouffante, de cette humidité sombre qui m'entourait. Mais si la menace venait de lui... 

Il avait marché vers l'entrée de la chapelle et s'était tenu un long moment immobile devant la porte. Parfaitement figé. Je ne le voyais que de dos, mais il semblait se concentrer, se recueillir plutôt, comme s'il méditait, ou priait. Puis il avait fait quelques pas en avant et sa main s'était posée sur la poignée en bronze. Il était resté quelques secondes le bras tendu, puis avait finalement reculé, et il avait fait le tour de la bâtisse, scrutant les environs, observant à travers l'épaisse végétation. Finalement, il était revenu vers la voiture. Son expression semblait moins tendue que quelques minutes auparavant, mais son visage était blême, comme vidé de son sang, pâle comme la mort, comme si ces quelques instants de méditation avaient pompé toute son énergie. 

"Viens, m'avait-il demandé en ouvrant la portière passager, d'une voix blanche, monocorde, et prends ton sac. Je crois qu'il n'est pas trop tard."

Il avait pris ma main, avec délicatesse. La sienne était glacée. Nos regards s'étaient croisés, et ce simple contact avait dissout tout ce qui pouvait me rester de volonté et d'opposition.  Il m'entraînait vers l'entrée, et j'étais incapable de résister, et incapable de prononcer un seul mot. Son étreinte était douce, mais je la sentais inflexible. Ses doigts se seraient resserrés si j'avais ne serait-ce qu'ébauché un mouvement pour me dégager. L'air était doux, presque chaud en ce début de printemps, mais la nuit allait tomber vite.

Il avait refermé la lourde porte de bois derrière nous. L'intérieur était froid et sombre. Les fenêtres brisées laissaient à peine filtrer les dernières lumières du jour. 

"Je sais que la broche est dans ton sac. Sors-la."

J'avais fouillé quelques instants dans le pèle-mêle de mes affaires, et malgré les tremblements qui agitaient mes mains, j'avais rapidement trouvé le bijou. Depuis le début, je l'avais toujours gardé tout près de moi. Axel ne me quittait pas des yeux, toisant chacun de mes gestes. 

Le clavier vampireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant