32 : La cour des Orfèvres

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Stanis était allé régler l'addition et avait récupéré mon manteau au vestiaire. Il était revenu à notre table et d'un geste courtois, m'avait fait signe de me lever.

Puis il était passé derrière moi pour poser galamment le vêtement sur mes épaules. Le contact de ses mains était d'abord étrangement doux. Puis ses doigts avaient couru autour de mon cou, caressants, chauds, fermes, jusqu'à serrer très légèrement ma gorge, et pencher ma tête sur la droite. J'avais senti son souffle sur ma nuque, et il avait posé un baiser sous mon oreille gauche. Il s'était rapproché de moi, invisible et immense, et son corps avait frôlé mon dos. Pendant ce très court instant, j'avais perçu la chaleur qui émanait de lui, et contre mes fesses, j'aurais pu en jurer, son sexe tendu. 

Il m'avait alors prise par le bras et m'avait entraînée dans la rue. J'étais médusée par ce que je m'apprêtais à faire. Étais-je donc incapable de tenir bon face à une résolution ? Étais-je si faible que j'allais trahir ma meilleure amie, et altérer le lien qui s'était installé entre Axel et moi ? Je devais le retrouver sur internet après la soirée au restaurant, mais au lieu de respecter les horaires que je m'étais fixés, je suivais Stanis, sans même savoir où nous allions.  

En courant presque, Stanis m'avait guidée dans les petites rues du vieux Tours. Engourdie par une force qui me laissait esclave de mes propres pulsions, j'étais comme ivre, transportée par la folie qui me poussait à suivre cet homme. Ma tête me faisait défaut, ma mémoire me jouait des tours. La ville m'était devenue étrangère. J'étais dans un ailleurs obscur, comme perdue, dans un quartier que je connaissais pourtant sur le bout des doigts. Les ruelles pavées, à peine éclairées, vides de passants, me semblaient nouvelles et bizarres. Mon cœur tapait à grands coups dans ma poitrine. Le temps s'abolissait. L'espace était transfiguré. Les maisons à colombages de la place Plumereau paraissaient animées d'une vie inouïe, d'un bouillonnement insoupçonné. Les pavés brillaient plus que d'habitude et les façades semblaient être tout juste sorties des mains des tailleurs de pierres, des maçons et des peintres. Toute cette course n'était que découvertes et enchantement. 

Au bout de quelques minutes de cette traversée, nous avions emprunté un escalier que je n'avais jamais remarqué, étroit et sombre, et nous avions atteint une incroyable place, ou plutôt une cour, dont j'avais jusqu'alors ignoré l'existence. J'avais l'impression que c'était Stanis lui-même qui faisait apparaître ces rues, ces murs, ces pierres, et maintenant ce lieu somptueux. L'éclairage était incertain, et je devais écarquiller les yeux pour profiter du décor. C'était un espace carré, entouré par ce qui me semblait être des hôtels particuliers, aux façades à pans de bois, probablement du seizième siècle, ornés de sculptures florales, et de balcons de pierre savamment ouvragés. Ces bâtiments étaient reliés entre eux au rez-de-chaussée par une galerie à colonnades, une de ces galeries ouvertes à l'italienne, typiques du style Renaissance, et des escaliers en spirale se déployaient à chacun des quatre coins. Le lieu était vierge de toute modernité, comme hors du temps. Au milieu, une petite fontaine propageait un murmure cristallin qui ajoutait encore à la délicatesse de l'ensemble. 

"La cour des Orfèvres. Je parie que tu ne connaissais pas !

- Jamais je ne me serais doutée de l'existence de cet endroit ! Je pensais bien connaître la ville, et là... Vraiment, je te remercie de me faire découvrir tout ça ! Je ne m'y attendais pas du tout...

- Tu connais évidemment l'histoire de la région du Val de Loire. Et de Tours, qui a même été capitale du royaume à la fin du Moyen Age. Mais c'est la Renaissance qui a été le véritable âge d'or de la Touraine. Hôtels particuliers, palais... les châteaux de la Loire recevaient toute la Cour et les princes... De sublimes écrins de pierre, les douceurs de la Loire, les forêts giboyeuses. Les peintres, les sculpteurs, également... Jusqu'au grand Léonard ! Le bouillonnement artistique était incroyable ! Incroyable ! Ah, les Italiens... Et quelques familles tourangelles s'étaient hissées jusqu'au plus hautes charges de l'état, ils étaient les financiers du royaume. Beaucoup ont fini au gibet de Montfaucon... Armand est un de leurs lointains descendants, d'ailleurs.

- Et ici, c'était quoi ? 

- Les orfèvres de la ville logeaient ici, et y recevaient leur riches clients. Le lieu est encore bien caché, protégé. Il l'a toujours été. C'est magnifique, n'est-ce pas ?

- Tu crois qu'on peut visiter l'intérieur des appartements ?

Il avait éclaté de rire. 

- Hum... Ma chère Jeanne... Tu me demandes donc enfin de t'inviter chez moi ? 

- Tu habites ici ?

- Bien sûr. Nous avons sauté le dessert pour une raison bien précise, non ?"

Il m'avait prise par la main et m'avait poussée dans l'ombre de l'un des escaliers. Nous avions grimpé quelques marches pour atteindre le premier palier, et il m'avait brusquement plaquée contre le mur de pierres du bâtiment. Sa force était à la fois surprenante, excitante et effrayante. J'étais paralysée. De désir, mais aussi d'inquiétude. 

Ses lèvres avaient écrasé les miennes et sa langue s'était introduite dans ma bouche, m'envahissant d'ondes de plaisir coupable. Prenant à peine le temps de jouer, ses mains pétrissaient mes seins, mes fesses, entravaient mes gestes. Je me sentais céder et fondre instantanément sous l'ardeur de cet assaut. Mon esprit tentait de se rebeller, mais ma chair se consumait d'envie et de lascivité. Je me sentais devenir animale, devenir chienne. Les gémissements incontrôlables qui m'échappaient me faisaient presque honte. Brutalement, il s'était reculé et m'avait retournée, face contre le mur. Il imprimait déjà de durs mouvements de reins contre mes fesses, et à travers son jean, je sentais sa puissante érection. Mon sac s'était échoué par terre, répandant son contenu sur les marches, et j'étais prête à me laisser prendre ainsi. Il avait relevé ma robe, et avait baissé d'un coup mes collants et ma culotte. J'étais dégoulinante. Je devinais qu'il défaisait sa ceinture, et j'avais baissé la tête vers le sol, cambrée, offerte à cet homme que j'étais venue provoquer et accuser. Soudain, alors qu'il stabilisait mes hanches entre ses mains, sans doute prêt à défaire pour de bon les boutons de sa braguette, mon regard avait été attiré par un objet brillant sur le sol. La broche. 

L'image d'Axel s'était imposée. De toutes mes forces, j'avais repoussé Stanis, et je m'étais retournée, remontant précipitamment ma culotte et rajustant mes vêtements. Il me regardait d'un air stupéfait. 

"Arrête, ça suffit.

- Qu'est-ce qui te prend ? J'ai bien l'impression que tu adores ce que je te fais, pourtant... 

Une lueur de colère s'était allumée dans ses yeux bleus, et je voyais qu'il se contenait pour rester aimable.

- Je préfère qu'on en reste là, c'est tout. Tu sais pourquoi."

Il avait poussé un grand soupir et refermait sa ceinture. 

"Jeanne. Je suis navré. Pas ce soir, j'étais prévenu. J'ai voulu aller trop vite. Il faut me pardonner. Je vais te raccompagner."

J'étais surprise par ce ton posé et rassurant que je ne lui connaissais pas encore. Peut-être n'était-il pas une brute, finalement. Il s'était penché pour m'aider à ramasser le contenu de mon sac. 

"Tu sais, tu n'es pas obligé de me ramener chez moi. Je vais rentrer seule, j'aime autant.

- D'accord. Je te souhaite une bonne nuit. Fais de beaux rêves, Jeanne."

J'avais refermé mon manteau, et en repartant vers la rue, je m'étais retournée et j'avais vu Stanis monter encore un étage et disparaître.   





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