"Jeanne, ma très tendre,
Une voiture t'attendra demain, devant ton appartement, à quinze heures. Ton trajet sera confortable, je m'en suis assuré. J'ai choisi le chauffeur et l'auto. J'attends le moment où tu en sortiras avec la plus intense des impatiences, la plus extrême des hâtes.
Tu seras ma cavalière pour une soirée donnée par mon très généreux client. Il doit présenter le travail de restauration que j'ai effectué pour lui à tous ses amis et relations. Exhiber l'oeuvre, bien sûr. C'est un honneur de te présenter toi comme celle qui m'accompagne. Plus belle que toutes les madones, que toutes les Vénus, que toutes les Hélène.
Tu auras une chambre à la maison Denicourt. J'ai choisi plusieurs tenues pour toi. Elles te plairont. Je ne voulais pas que tu t'inquiètes pour une affaire de robe.
Encore attendre quelques heures.
Il est temps que nos corps se rencontrent dans le flot de la vie, dans l'énergie du monde. Je ne suis plus qu'avidité, que gourmandise, que bouillonnement. Notre lien est sur le point de se cristalliser et j'espère, non, je sais, que tu partages mon désir. Fais moi toujours la même confiance. Jeanne, mon amour. Ne me crains pas, je t'en prie.
C'est moi, Jeanne. Moi, l'intime, le familier, le proche. Tu n'as pas à avoir le vertige. Tu n'as pas à avoir peur. Tu n'es pas l'enfant qui avance un pied maladroit pour effectuer son tout premier pas. Tu n'es pas le plongeur qui s'apprête à s'immerger dans l'inconnu des grands fonds marins. Tu n'es pas l'explorateur qui quitte son esquif pour découvrir une île peuplée d'anthropophages. Tu me retrouves, Jeanne. Tu me reviens. Je serai là. Comme je l'ai toujours été, tout près de toi.
Tu seras au contraire plus en sécurité que tu ne peux l'être à Tours. Il faut me croire. Tu dois être plus prudente. Ta chair est faible. Elle est jouissance, et c'est merveilleux. J'aime voir le plaisir rayonner autour de toi. Mais tu dois te méfier de tes sens. Tu dois apprendre à rejeter ce qui te mènerait à ta perte, à notre perte. Fais attention à toi, ma chérie, ne te laisse pas abuser, ni par tes sensations, ni par les autres.
J'embrasse tes mains et tes lèvres.
Ton amour,
Axel."
J'avais relu plusieurs fois le mail d'Axel. J'avais encore du mal à croire que ça allait arriver. Nous allions vers une rencontre dans le réel, la vraie vie, et les choses me semblaient de plus en plus irréelles.
D'abord, s'il envoyait une voiture, c'est qu'il avait mon adresse. Rapidement, je m'étais rendu compte, en quelques clics, qu'il n'était pas très compliqué de relier mon pseudo sur Tchatmania à une adresse mail, et de là, à un forum de discussion sur les manuscrits médiévaux, où une série de liens menaient à des travaux réalisés en master, et à mon nom complet, Jeanne Laborde, donc à mon adresse, via les pages blanches de l'annuaire. J'aurais dû être choquée par le fait qu'il ait certainement enquêté ainsi sur moi, mais j'avais fait de même pour lui. Et puis l'idée de la voiture avec chauffeur, était complètement extravagante. Je n'avais qu'à m'abandonner à lui, lâcher prise sur toutes les objections que je pourrais formuler. Très excitante aussi. C'était d'un autre temps. C'était audacieux, c'était fou.
Je pensais aussi à ce que j'allais porter. Il avait prévu des robes... Je me sentais un peu objectisée. Comme si j'avais été une poupée pour lui. Mais cela participait de ce désinvestissement de moi-même, ma volonté comme mise en suspension. Et ce sentiment était bon, était voluptueux.
La soirée en elle-même ne m'inquiétait pas. Les hommes d'affaires ne me faisaient pas peur. Et je pourrais raisonner avec les esthètes, s'il y en avait. La soirée n'était presque rien. Elle n'était qu'une transition vers la nuit qui la suivrait. Nous nous croiserions, nous nous jaugerions, nous nous frôlerions, mais la véritable rencontre serait après. Quand une autre voiture nous reconduirait à l'hôtel, et que je devrais choisir entre ma propre chambre et la sienne.
Et si finalement, je ne lui plaisais pas ? Et si c'était lui qui n'était pas à la hauteur de mes nuits ici ? Ces pensées me ramenaient à une forme de raison, mais au fond, j'avais la certitude que la rencontre coulerait comme le flot de désir, d'émois, de sensations, de sentiments, même, qui nous liait. J'avais hâte moi aussi, malgré mon appréhension.
Axel. Si proche. Déjà en moi. Déjà ma chair.
J'étais retournée dans la salle de bains, et j'avais ramassé la broche qui gisait au fond de l'évier. Elle brillait de mille reflets.
Axel. Il avait été là. Présent. Le bijou en était la preuve que je voulais fuir. Il avait été là sous une forme nocturne, obscure, indéchiffrable. Déjà il connaissait ma peau, mes cuisses, mon ventre, et déjà je connaissais ses mains, sa langue, sa fureur. M'enivrant de désir, de folie, de plaisir sublime. Qui était-il ? Qu'était-il ?
La dernière partie du message était particulièrement intrigante. Pour moi, elle faisait à l'évidence allusion à mon aventure avec Stanis, et à tout ce qu'elle avait entraîné, tant dans les actes, que dans le trouble que j'en avais ressenti. Je n'imaginais pas qu'il puisse en être autrement. Que savait Axel ? Et comment le savait-il ? M'avait-il suivie ? Ou fait suivre ? Je repensais brusquement à la Polo noire que j'avais vue par deux fois, à deux endroits différents lors de cette journée folle où j'étais allée chez Célia. Cette Polo occupée par un mystérieux fumeur... A quel point devais-je être alertée ?
En réalité, je n'en avais rien à foutre. Absolument rien. J'allais voir Axel. Le toucher. L'étreindre. Nos langues allaient se mélanger. Nos corps se coller et s'agripper l'un à l'autre. On baiserait. Très vite et très fort. Comme nous nous l'étions dit dans notre tout premier échange sur internet. Il m'attendait. Son sexe m'attendait. Et son pouvoir d'attraction était tel que j'effaçais de mon esprit la moindre pensée raisonnable qui aurait pu me dissuader de m'engager dans cette nouvelle folie. Mon ventre était envahit d'une vague de désir liquide et violent. Je n'arriverais pas à dormir.

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Le clavier vampire
Paranormal" Qu'est-ce que tu es ? - Je suis ce que je suis." Fantastique et érotisme, histoire et secrets, se croisent dans le récit vénéneux d'un amour incandescent, où rêves et réalité se chevauchent dans une atmosphère de fièvre nocturne. Attention, de no...