Chapitre XII

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Elle n'en croyait pas ses yeux. Tout devant elle était d'une beauté à couper le souffle. Ses bras se hérissèrent d'une chair de poule inattendue et ses yeux s'embuèrent à mesure qu'elle se rapprochait du paysage. Une larme coula sur sa joue.

— Bienvenue chez toi, Astrida, lui dit-il.

Devant elle s'étendait la mer à perte de vue. Les eaux grises et déchaînées se jetaient contre les falaises sur lesquelles ils venaient tout juste d'atterrir. La brise maritime vint caresser son visage, faisant voler ses cheveux au gré du vent. Elle ferma les yeux et respira l'iode marine. Elle était chez elle.

Il y a très longtemps de cela, elle courait entre les hautes herbes vertes, poursuivie par son jeune frère. Elle criait, courait, avec la joie d'une enfant insouciante. Elle trébucha et roula sur la terre meuble que ses ancêtres travaillaient depuis des siècles.

— Astrida, criait son frère derrière elle.

Elle n'avait pas mal. Elle riait. Quel bonheur, elle vivait ! Ni une, ni deux, elle se releva et reprit la course folle interrompue plus tôt. Ses pieds nus foulaient le sol avec aisance. Bientôt, du sable noir vint se glisser entre ses orteils et elle arriva sur la plage. Sans se débarrasser de ses vêtements, elle se jeta dans l'eau froide de l'océan, hurlant au contact des gouttelettes glacées sur sa peau et ses vêtements. C'était ça, l'innocence : profiter de petits moments de félicité sans se préoccuper du monde environnant, laissant aux adultes la responsabilité de gérer les affaires de l'Univers et ne s'occuper que de soi. Oui mais voilà, cette période prendra bientôt fin. Mais pour l'instant, elle était là, à nager, à courir, à se laisser porter par les vagues, regardant au-dessus le ciel d'un bleu pur, simplement agrémenté par-ci par-là de nuages cotonneux blancs.

— C'est magnifique, disait-elle à la fois dans son présent et dans son passé.

— Les Terriens appellent cette terre l'Islande. Tu es née ici il y a un millénaire.

— Je me rappelle. J'avais un frère, plus jeune que moi... Et une mère.

Doux visage, sourire bienveillant, chevelure blonde comme les blés, yeux d'un bleu clair, de la couleur de l'océan près duquel ils vivaient tous. Elle se rappelait de ses bras chauds et réconfortants, où elle venait se réfugier les jours mauvais. Elle se rappelait de sa voix, qui était comme une caresse. Elle se rappelait...

— Elle est morte quand j'avais quinze ans, avoua-t-elle, la gorge serrée.

Son père, ou plutôt le mari de sa mère, elle le comprenait maintenant, était chef de clan et les guerres entre tribus rivales n'étaient pas rares de ce temps. La horde du rival d'Erik avait attaqué leur village sans prévenir. Les massacres avaient été sanglants et même si sa famille avait été victorieuse...

— Nous avons été violées, elle et moi, lors d'une attaque de clans, continua-t-elle, la gorge nouée par l'émotion. Elle n'a pas survécu...

Les souvenirs remontaient tous à la surface, comme un geyser, et les cicatrices se rouvraient, saignaient abondamment, à mesure qu'elle revivait les conditions de son viol. Elle se mit à trembler puis tomba à terre.

— Astrida !

Son frère vint la prendre par les épaules. Entre ses mains, elle convulsait, criait, gémissait, hurlait, en proie avec ses démons intérieurs.

Les mains sales tripotaient son corps sans aucune douceur et elle sentait contre sa joue l'odeur putride de l'haleine de son agresseur. Une baffe l'envoya au sol, la laissant hagarde et incapable de se défendre. Elle tenta de ramper mais un bras vint la saisir par la taille et la souleva comme une vulgaire poupée de chiffon. Son dos heurta le bois d'une table et elle sentit qu'on relevait sa jupe. Elle ferma les yeux.

— Non ! hurla-t-elle à s'en arracher les poumons.

— Astrida ! Calme-toi ! C'est moi !

— Non ! continua-t-elle de vociférer.

Elle griffa ce qu'elle put, avant que l'effroyable ne se produisit. Sous le choc, elle cessa complétement de bouger, envahie par une douleur brûlante, qui la laissa honteuse et meurtrie. Elle pleurait mais ne s'en rendait pas compte. Tout autour d'elle criait mais elle n'entendait rien sinon la plainte lancinante de son corps, qu'on utilisait comme un vulgaire objet.

Enfoiré ! Salaud !

Toujours en prise avec ses cauchemars, elle ne reconnaissait pas le visage paniqué de Thor et se débattait entre ses bras. Elle tenta même de le mordre. Elle agissait comme elle aurait voulu pouvoir réagir, il y a de cela mille ans déjà.

Mille ans, Astrida... Ressaisis-toi ! Brutalement, elle reprit conscience. Haletante, elle se dégagea de l'emprise de son frère et se remit sur ses pieds, bouleversée par ce qu'elle venait de revivre. Elle croisa le regard du dieu.

— Alors quoi ? C'est ça, retrouver la mémoire ? lui demanda-t-elle acerbement. C'est ça que tu veux que je fasse ? Que je revive ?

— Astrida, je ne savais rien de tout ça, tenta-t-il de se défendre.

— Tu aurais dû me laisser amnésique ! s'emporta-telle. Je ne veux pas retrouver la mémoire ! Pas pour me rappeler de ça !

— Maintenant, ça suffit ! cria-t-il.

Sous l'effet de la surprise, elle se tut. Le dieu avait l'air très en colère. Il la scruta d'un regard orageux et commença à la réprimander, comme quand on gronde une enfant.

— Chacun a ses propres démons à affronter et ce n'est pas en les fuyant qu'on apprend à les battre ! Quand je t'ai connu, tu avais déjà appris à vivre avec et même, à les laisser derrière toi ! Tu avais appris à en tirer ta force et ton courage ! Alors ne me fais pas croire que tu ne pourras pas le refaire une seconde fois ! Tu as Astrida Odindottir, par tous les dieux ! Tu es une guerrière !

—Mais qui crie donc ainsi ? intervint soudain une voix. On t'entend jusqu'auseptième ciel, Barbie.

 On t'entend jusqu'auseptième ciel, Barbie

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Princess of Asgard [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant