Princess of Asgard [FR]

Chapitre VI

Le jour continuait d'avancer et Astrida dormait paisiblement dans sa chambre, aidée par une petite potion concoctée par la prophétesse. Accompagnée par le dieu du Tonnerre, Volla se dirigeait vers ses appartements, où ils devaient avoir une discussion sérieuse. Ses sourcils étaient froncés, creusant une profonde ride, signe qu'elle était préoccupée : depuis quelques temps, plus rien ne semblait aller. Encore une fois, elle se remémora la chronologie des évènements. D'abord, Odin perdit sa femme et commença à agir de manière très bizarre, comme s'il devenait lentement fou ; ensuite, des visions macabres et apocalyptiques venaient perturber son sommeil ; puis il y eut le retour d'Astrida et intérieurement, elle avait peur que ce dernier évènement ne soit celui qui accélère tout le reste. Elle devait adopter une stratégie de résolution la plus efficace et le plus rapidement possible. Elle décida donc de traiter chaque problème un par un. Avec un peu de chance, rien de ce qu'elle avait aperçu dans ses rêves ne se réalisera.

Elle aussi vieillissait, malgré son apparence de jeune fille. Du plus profond de son cœur, pour la première fois en dix millénaires d'existence, elle espérait qu'elle devenait une vieillarde sénile, qui ne contrôlait plus ses pouvoirs. Malheureusement, elle avait aussi l'intime conviction que ce n'était pas le cas et c'était ce qui lui faisait le plus peur. Elle ne pouvait plus garder cela pour elle seule plus longtemps. Il fallait commencer par prévenir Thor, le préparer à prendre la succession. Ils n'avaient plus d'autres choix.

Ils finirent enfin par arriver dans les appartements princiers. La décoration était fastueuse mais un peu dérangée et désordonnée : elle reconnaissait bien là l'ancienne garçonnière de Thor, lui qui faisait autrefois des fêtes immenses se terminant souvent noyées dans l'hydromel. Heureusement pour l'intégrité de la famille royale ainsi que de son budget, depuis son récent séjour sur Terre et sa rencontre avec une de ses habitants, la dénommée Jane Foster, le dieu du Tonnerre s'était étonnement assagi. Il avait mûri au contact de la jeune femme et avoir eu pour la première fois le sort d'une planète entière et de son peuple entre ses mains lui avait mis du plomb dans la tête. Mais, dernier vestige de son passé de fêtard, restait sa fâcheuse tendance à ne pas ranger ses affaires. Gêné, il tenta de cacher un peu la misère mais Volla, impatiente, le stoppa d'un geste :

— Nous n'avons pas le temps pour des enfantillages, Thor. L'heure est grave.

Elle alla se poster près de la fenêtre, regardant avec nostalgie la cité des dieux resplendir sous l'éclat des soleils de la galaxie. Quelques souvenirs refirent surface alors qu'elle se revoyait enfant, insouciante encore du don qui allait bientôt peser sur ses frêles épaules. Dans ce temps-là, elle ne se préoccupait que d'aller jouer avec Odin, eux qui étaient jadis si proches... Elle ne savait pas trop par où commencer. Annoncer à Thor que son père perdait les pédales était une tâche plus ardue qu'il n'y paraissait.

— Volla, je t'écoute, l'encouragea-t-il en s'asseyant au bord d'un fauteuil.

Elle se tourna vers lui, tordant ses mains sous l'emprise de l'angoisse. Son masque de rigidité légendaire commençait à s'effriter. Elle avait de plus en plus de mal à cacher ses émotions.

— J'ai parlé à ton père de ce qu'il s'est passé avec Astrida dans la salle du trône, commença-t-elle. J'ai cependant omis quelques détails, comme la véritable raison pour laquelle cela a échoué.

— Tu aurais menti à mon père ? s'étonna-t-il.

Le demi-dieu n'en croyait pas ses oreilles. La divinatrice avait toujours été un modèle d'obéissance, servant son royaume avec loyauté. Cette attitude ne lui ressemblait pas.

— Volla, reprit-il d'une voix sourde, c'est à la limite du crime de lèse-majesté, tu as juré fidélité à mon père le jour de son couronnement, tu ne l'as pas oublié ?

— Tout comme je te jurerai fidélité quand tu prendras sa place ! s'écria-t-elle pour se justifier. Et ce moment viendra plus tôt que tu ne le penses.

Elle se détourna de lui pour aller faire les cent pas. Pour le jeune prince, la conversation prenait une tournure plutôt inattendue... et désagréable. Il n'avait pas pensé reprendre aussi tôt le flambeau. Il y a quelques années, il aurait sauté sur l'occasion sans réfléchir. mais ce temps était loin derrière lui, maintenant qu'il connaissait les réels enjeux de la couronne asgardienne. Il se leva à son tour, s'approchant de la prophétesse, qu'il n'avait jamais vu dans un tel état de panique, elle qui incarnait autrefois l'impassibilité la plus parfaite.

— Que veux-tu dire ? demanda-t-il.

— Je crois que... Depuis la mort de ta mère...

Elle stoppa ici, la gorge soudain nuée par l'émotion. Les deux furent envahis par d'anciens souvenirs. Thor se revoyait choyé par sa mère, elle qui avait su le rassurer étant petit et qui l'avait toujours aimé, même après ses plus grosses bêtises. Elle avait été une mère formidable, pour lui mais aussi pour...

— Je crois qu'il perd la tête, termina Volla, le tirant de ses pensées. Il n'est plus le même. Souviens-toi : déjà avant la mort de Frigga, son état de santé nous inquiétait tous. Il a réussi à tenir, ce qui fut très surprenant. Mais je crains qu'il ne soit à bout de force. Le retour d'Astrida a dû l'achever.

— Il adore sa fille, contra Thor, qui ne voyait pas où la déesse voulait en venir.

— Je le sais. Mais regarde ce qu'elle lui a fait subir. Ce qu'elle nous a tous fait subir ! La revoir ici, pareille que dans nos souvenirs, après sa fuite... Nous ne savons toujours pas pourquoi elle est partie et maintenant qu'il y a cette histoire d'amnésie auto-infligée, le mystère qui l'entoure s'intensifie encore plus.

— Astrida devait avoir ses raisons de nous quitter.

Thor s'était à son tour détourné. Pour une fois, c'était lui qui possédait une longueur d'avance sur la divinatrice. Astrida s'était toujours confiée à lui jadis, jusque dans ses secrets les plus intimes. Et bien que désapprouvant certains de ses choix, il l'avait toujours soutenu. Peu importe qu'elle ait été absente pendant des décennies, il ne faillirait pas à sa mission.

— Si Père perd la raison, continua-t-il en la regardant à nouveau droit dans les yeux, alors je me tiens prêt à lui succéder. Au moins tant qu'Astrida n'aura pas retrouvé la mémoire. C'était elle qu'il désirait voir sur le trône, pas moi.

— Chose qu'elle a toujours refusée, lui rappela Volla, un peu intriguée par le discours de Thor. Mais tu as raison : nous devons en priorité lui faire retrouver la mémoire. C'est un véritable catalyseur de pouvoirs en tout genre et si elle ne se rappelle plus de rien, il y a un grand risque qu'elle ne sache plus se contrôler. Qui sait ce qui se passera alors.

— Je suis d'accord, approuva-t-il. Mais comment l'aider ?

— Tu as bien vu tout à l'heure, près du bassin : certains lieux lui rappellent des souvenirs. Il faut la stimuler de toutes les manières possibles : elle doit sentir les parfums de son passé, voir les lieux visités jadis, entendre les paroles prononcées autrefois... Tout ce qui peut lui évoquer quelque chose.

Il resta silencieux mais hocha la tête pour souligner son accord. Elle avait raison. Il ne voyait aucun autre moyen de faire revenir sa mémoire. Le sortilège ayant échoué, il ne restait donc plus que ça. Mais il tenait à protéger sa sœur et se sentit obligé de poser une clause à leur contrat tacite.

— J'émets cependant une réserve, la prévint-il, et je suis certain que tu seras d'accord avec moi : à aucun moment, nous ne devrons évoquer le nom de Loki.