Chapitre II

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Elle n’avait aucune envie de le voir, aucune envie de lui parler. Elle désirait simplement être seule, avec ses sentiments et ses pensées, seule dans son malheur. Elle ne voulait pas l’écouter lui présenter des excuses dont elle n’avait que faire, des paroles qui lui sembleraient bien légères au regard du traumatisme vécu. Alors elle resta de marbre, le scrutant de ses prunelles froides, tandis que lui tournait la tête vers la cellule qu’elle contemplait quelques instants plus tôt.

— Il y avait un homme ici, jadis, dit-il avec une voix comme empreinte de nostalgie. Nul ne sait ce qu’il est advenu de nuit. Il a disparu du jour au lendemain.

— Savais-tu qui il était ? demanda Astrida, brisant son vœu de silence face à sa curiosité dévorante.

Son frère secoua la tête. Elle n’aurait pas de réponse aujourd’hui, se résigna-t-elle en laissant échapper un soupir. Ses épaules se relâchèrent, comme vaincues. Elle était lasse de tout ce bazar, lasse d’éprouver cette douleur. Lasse d’être ce qu’elle était, lasse de tout. Elle voulait simplement être seule dans un endroit calme et sans problème. Avec sa fille et tout le bonheur qu’on lui avait retiré trop tôt. Se retirer loin de la royauté, loin de ce palais finalement si sombre derrière ces murs dorés. Elle rêvait de son Danemark natal, ses terres froides et austères, ses lacs gelés et ses hommes et femmes du Nord chaleureux et festifs. Pour la première fois depuis des siècles, sa mère lui manquait. Son enfance aussi, même si elle avait été loin d’être parfaite. Elle baissa la tête. Elle devait se rendre à l’évidence, elle avait perdu des années d’innocence et elle ne les récupèrerait jamais. Elle était une femme adulte, une déesse et l’héritière d’un trône qu’elle n’avait jamais convoité, mère d’un enfant qu’elle n’a jamais pu voir grandir. Pourtant, là où d’autres auraient vu une ambition hors norme, elle n’était en réalité qu’une petite fille apeurée à qui on en avait trop demandé, trop tôt.

— Astrida, j’aimerai te parler, répéta Thor. C’est important. Je sais que tu dois faire ton deuil mais j’ai besoin de faire le mien aussi.

— De quoi veux-tu parler ? s’énerva-t-elle.

Elle n’avait qu’une envie : partir, loin. Ou du moins se réfugier dans sa chambre en attendant de trouver un endroit où se réfugier. Elle ne voulait pas l’entendre se plaindre de quoique ce soit. Pour elle, il ne le méritait pas. Il n’avait rien vécu de semblable à ce qu’elle-même venait de vivre alors elle lui interdisait ne serait-ce que prétendre avoir souffert. Sa peine ancrée dans son cœur, Astrida jouait les égoïstes. Et malgré tout, son frère ne se pria pas de laisser à son tour sa colère s’exprimer. Elle n’était pas le centre de l’Univers, après tout, qu’importe ce qu’elle était en train de traverser.

— Tu crois que tu es la seule à avoir souffert ? continua-t-il, perdant lui aussi sa patience. Tu crois que tu es la seule à avoir vécu un enfer ces dernières années ?

Il laissait échapper une rancœur qu’elle ne lui connaissait pas. Pourtant, il avait toutes ses raisons de lui en vouloir. Il refusait de la laisser ne penser qu’à elle, sans réfléchir au mal qu’elle lui avait causé, pendant ces années de fuite. Des années sombres et noires où il avait tant regretté son attitude d’alors, celle du guerrier égocentrique et maniériste. Oui, il avait ses raisons de penser qu’il n’était pas étranger au mutisme de sa sœur lors de la fuite de cette dernière. S’il avait été plus présent et moins en train de guerroyer, peut-être qu’elle se serait confié à lui. Au lieu de ça, il n’avait pas été assez présent. Cependant, il refusait d’être le seul à porter cette culpabilité.

— J’ai perdu une sœur, que j’adorais et je chérissais plus que tout ! Qui s’est enfuie sans laisser une trace, sans prévenir personne, sans me prévenir, moi ! Elle est partie sans me faire part de ses intentions, de ses problèmes, sans penser que j’aurai pu l’aider ! J’aurai pu si elle me l’avait demandé ! J’aurai pu t’aider !

Princess of Asgard [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant