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C'était la première fois de ma vie que je prenais l'avion, je regardais par le hublot silencieusement pendant tout le vol, j'admirais les nuages en dessous de nous moi qui aie l'habitude de les voir si haut d'habitude, me voilà au ciel, mais aucune trace des morts, aucune traces de papa. Si j'étais aux commandes j'aurais tenté de monter plus haut afin de voir si je le retrouvais dans cette étendue si vaste.

Nous voilà sur le sol marocain, nous arrivons avec mon père dans ce cercueil, comme s'il n'était qu'un simple colis. J'étais triste, vraiment triste mais j'étais également vide, vraiment vide...
Je ne me rendais pas bien compte que mon père était mort je pense, j'avais encore cet espoir qu'il se réveille, ce maudit espoir qui me détruit de l'intérieur, qui m'empêche de faire le deuil. Comment faire un deuil lorsqu'on est persuadée que ce n'est pas fini ?
Sans lui je pense que j'aurais pleuré car j'aurais comprit, mais par sa faute je suis entrain de me laisser mourir car je n'y crois pas. Voilà 4 jours que je n'avale que quelques bouchées pour faire plaisir aux gens qui m'entourent, ceux qui sont toujours là, que j'aimais certes, mais pas comme papa.
Je ne vis plus, je survis car sans lui la vie ne vaut plus la peine d'être vécu. J'ai connu aussi la plus grosse baisse de foi de ma vie, je priais car je devais le faire et que mon père me l'avait demandé, j'avais l'impression d'être encore avec lui en priant, je me rappelais de lui, se tenant devant moi, charismatique, récitant le Coran avec sa belle voix si douce et si apaisante, moi le suivant derrière, admirative de l'homme qu'il était

J'en voulais à Dieu de ne pas avoir répondu à mes prières, de ne pas avoir écouté toutes mes invocations, je lui en voulais de n'en faire qu'à sa tête alors que moi je faisais ce qu'Il voulait. J'en voulais aussi à ce destin tout écrit auquel personne ne peut échapper, ce destin qui ne nous oublie jamais. Alors je me suis mise à faire des prières machinales, les faire pour les faire seulement, parce que c'était l'une des dernières volontés de mon père et non parce que c'était une obligation du Créateur. Je ne demandais plus rien à Dieu pensant qu'Il ne m'aimait pas de toute façon, qu'Il me boycottait. Je ne lisais plus le Coran, ce Livre qui fut mon refuge et mon remède ainsi qu'à papa était désormais synonyme de douleur, de mauvais souvenir, le souvenir de mon père, allongé sur ce lit attendant que l'ange de la mort vienne reprendre son âme afin qu'il aille rejoindre celle qu'il aime et son Créateur pendant que je lui lisais tous ces magnifiques versets pour l'apaiser, je ne voulais plus l'avoir entre les mains si ce n'était pas pour en faire la lecture à mon père.

Mon oncle est venu nous chercher à l'aéroport avec la sœur de mon défunt père. Elle nous serra dans ses bras en pleurant toutes les larmes de son corps. J'étais debout, raide comme une branche, je ne bougeais pas, je l'ai laissé faire mais je n'ai même pas eut un seul frisson, comme si mon cœur était mort, comme si à la place de cet organe essentiel j'avais un trou noir, le néant. J'avais l'impression de ne plus avoir aucun sentiment, de ne plus rien ressentir. Mon amour était exclusivement destiné à mon père, sans lui il n'avait plus lieu d'être, mes émotions se sont envolés en même temps que son âme.

Je suis montée dans la voiture sans même chercher à savoir ce qui adviendra du corps de mon père, j'étais perdue dans ce pays que je connaissais pourtant si bien, sur cette terre qui avait maintenant l'habitude de voir mes souffrances.
Pendant le trajet on m'adressait la parole mais j'étais toujours dans l'incapacité de répondre, de crier, de pleurer comme je voudrais le faire.
Je lançais de temps en temps un regard à ma tante qui pleurait en prononçant le nom de mon père au milieu de phrases noyées par ses larmes. Je l'enviais de pouvoir pleurer, de pouvoir témoigner sa souffrance, de pouvoir extérioriser sa peine, j'aurais aimé me joindre à ses pleures, mélanger mes larmes aux siennes dans un élan de sincérité mais je n'y parvins pas.

Nous arrivâmes chez ma tante paternelle qui était remplie de monde. La famille de ma mère était également présente, mes tantes pleuraient parce qu'elles le considéraient vraiment comme leur propre frère, il faisait parti à part entière de leur famille. En nous voyant, le frère à ma mère me prit dans ses bras et me dit :
- Il parait que tu ne parles plus ?

Je l'ai regardé et il a dut voir dans la noirceur de mes yeux tout le vide que je ressentais, l'absence de mon âme qui s'était fait la belle avec celle de papa, il a dut voir que je n'étais plus la petite Naïma qui aimait tout le monde, qui patientait même dans les épreuves. Les gens disaient toujours de moi que j'étais forte et me voilà faible, sans aucune force ni physique ni psychologique, et voilà que je ne suis plus qu'un corps sans âme, sans foi, une petite fille détruite de l'intérieur, le cœur dévasté par une bombe. L'épreuve de Khalid et Fatima n'était rien à côté de ça car à l'époque je savais que mon père allait venir me chercher, qu'un jour le cauchemar finirait mais cette fois j'avais perdu ma force, mon pilier dans cette vie, mon père. Je n'étais plus qu'une fondation bancale, une orpheline.

Je faisais pitié aux gens qui n'arrêtaient pas de répéter :
- Khalew had litima meskina (ils ont laissé cette orpheline la pauvre)

Mais je restais toujours de marbre. Le corps de mon père fut amené après dans une chambre, je voulais le voir et une de mes tantes paternelles me dit en me stoppant :
- Non ne rentre pas, ce n'est pas pour les filles de ton âge.
J'ai enlevé violemment sa main de devant moi, je lui ai lancé un regard rempli de haine pour qu'elle comprenne qu'elle n'a rien à me dire et j'ai avancé d'une manière déterminée. Mon père était presque tout bleu, j'ai eut vraiment peur en le voyant mais je me suis quand même approchée. Je l'ai embrassé et j'ai senti sa peau froide caresser mes lèvres. Un homme l'enveloppa dans un linceul blanc et les femmes dans la maison n'arrêtaient pas de répéter :

- Sla ou slam hla rassoul Allah (Prière et salut sur le Messager d'Allah)

L'ambiance était vraiment bizarre, je me demandais ce que mon père voyait, où il était, est-ce qu'il m'avait déjà oublié.
Les hommes portèrent son corps pour le sortir dehors et se dirigèrent avec lui au cimetière. Voilà, c'était fini, je ne le verrais plus...

Chronique d'une vie cramée, mais malgré tout, El HamdoulillahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant