En rentrant du cimetière, mes frères étaient anéantis, ils avaient mal et ça se lisait sur leurs beaux visages. Je ne décrochais pas mes yeux de Adil, je trouvais qu'il ressemblait vraiment à mon père, j'avais l'impression de l'avoir avec moi-même si dans son visage on ne retrouve pas toute la beauté de papa. J'aurais aimé aller avec eux à l'enterrement. Le lendemain je voulais absolument aller au cimetière avec mes frères pour voir sa tombe, j'étais collée à eux toute la matinée de peur qu'ils y aillent sans moi.
Younes – Tu veux aller au qbor (cimetière) ?
Je hoche la tête pour dire oui et il me demande d'aller m'habiller pour y aller. Je vais donc me laver rapidement afin de faire mes ablutions, je couvre ma tête d'un voile et je mets une jelaba, direction le cimetière.
L'odeur du cimetière est incomparable, cet endroit sent la mort, la fin. Nous nous approchons de la grande grille d'entrée, des mendiants sont assis devant, mes frères leur tendent des pièces, je me contente de leur sourire pour leur témoigner un peu de chaleur humaine."Le fait de sourire à ton frère est une aumône. Le fait de recommander le bien et d'interdire le mal est une aumône. Le fait de renseigner un homme qui s'est égaré est une aumône. Le fait d'enlever de la voie publique les saletés, les épines et les os est pour toi une aumône. Le fait de verser de l'eau de ton récipient dans celui de ton frère est pour toi une aumône. Le fait d'aider un homme malvoyant est pour toi une aumône" [Rapporté par Al-Bukhârî]
Nous franchîmes la grille pour passer de l'autre côté, entrer dans les ténèbres, rendre visite aux morts : des tombes à perte vue, une terre rouge et sèche et des hommes en jelaba qui déambulent autour des tombes en lisant du Coran, voilà le spectacle lugubre qui s'offrait à moi.
J'étais déjà venue une fois dans ce même cimetière dont la terre à ensevelie ma mère, mes grands-parents et maintenant mon père mais la première fois c'était différent. J'étais jeune, je n'avais pas vraiment conscience que même moi un jour je finirais ici, seule, sans rien pour me sauver, rien d'autre qu'Allah Tout Puissant.J'observais ce funeste paysage qui me glaça le sang. Certes, il faisait terriblement froid mais là j'avais des frissons de peur, peur de la mort, cette même mort que les gens de mon entourage qui l'ont connue attendaient avec impatience, moi elle me paralysait. Je ne voulais pas me retrouver sous terre, dans l'obscurité, seule au monde.
« Dieu (qu'Il soit exalté) a dit :
« O fils d'Adam, tant que tu M'invoques et place en Moi ton espoir, Je te pardonnerais quoique que tu aies fait, et Je ne m'en soucie pas. Ô fils d'Adam, si tes péchés atteignaient les nuages des cieux et qu'ensuite tu sollicitais Mon Pardon, Je te l'accorderais.O fils d'Adam, si tu te présentes devant Moi avec autant de péchés que peut en contenir la terre et qu'ensuite tu Me rencontres sans rien associer à Mon culte, Je t'apporterai un pardon équivalent. »
[Authentifié par At-Tirmidhî]J'étais silencieuse, tout ce raisonnement défilait dans ma tête quand soudain Adil me tira de mes pensées en me tendant un livre ou plutôt Le Livre. Je pris le Coran que j'ouvris à la sourate Al-Rahmân, je regardai la tombe, j'ai toussé pour préparer ma voix, et je me suis mise à lire :
« Bismi Llah Al-Rahman Al-Rahim » (Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux)
Ma voix refit surface comme si elle n'avait jamais disparue, comme si pendant ces derniers jours elle ne m'avait pas quittée. Younes posa sa main sur mon épaule pour témoigner sa joie sans me déconcentrer dans la lecture, je pris une belle voix et j'ai continué la lecture de ses versets pleins de sagesse, ses versets si parfaits et si subtiles à la fois, magnifiquement bien écrit, l'œuvre du Très Haut. Plus je lisais plus mon corps se remplissait de vie, mon cœur avait également réapparu, je le ressentais battre plus fort au fil des lignes et puis des larmes coulèrent sur mes joues, des larmes chaudes et salées. Et j'ai fini la lecture en pleures. J'extériorisais enfin ma douleur, j'en avais tellement stocké que j'ai pleuré pendant de longues minutes. Mes frères me serrèrent dans leurs bras, m'embrassèrent, ça me faisait du bien de pleurer.
Les paroles du Créateur avait refait naitre mon organe vital, Allah avait reprit Sa place à l'intérieur pour me redonner la force d'avancer.
A la fin je ne pleurais même plus mon père mais je pleurais la mort, je me retrouvais en plein au milieu du rappel de la mort, cette étape qu'on ne peut pas esquiver. J'avais lu les versets que mon père aimait, je les ai lu encore pour qu'Allah lui accorde Sa Miséricorde et nous guide tous avant de finir dans cet endroit où, ni nos biens, ni nos diplômes, ni nos conquêtes, ni nos origines... ne pourront nous sauver, où seuls nos prières, nos actes et notre amour d'Allah nous seront bénéfiques.
Voilà ce qu'il restera de nous, de la terre entassée sur nos corps sans vies, immobiles, et notre souvenir dans le cœur des personnes qui nous ont aimés, sinon à part ça, rien. Nous vivons pour mourir, alors quelle est le but de vos vies ?
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Chronique d'une vie cramée, mais malgré tout, El Hamdoulillah
General FictionChronique d'une vie cramée, mais malgré tout, El Hamdoulillah