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Quatrième partie


Bismi Llah Al-Rahman Al-Rahim


Si on parlait un peu de ma mère. Vous allez vous dire: "Elle veut nous dire quoi sur elle ? Elle ne l'a jamais connue."
J'ai l'impression de l'avoir connu à travers les histoires que les gens me racontaient sur elle. Je suis son portrait craché, sa photocopie.

Mes frères sont tous châtains aux yeux vert gris comme mon père, moi je suis tout le contraire: brune, mâte, les yeux noirs, comme ma mère.

Les gens, et surtout Adil, Moui Hafida et papa me racontaient sa douceur, son calme, ses gestes attentionnés, son grand coeur...
Elle avait un coeur ma cha Allah grand comme le monde. Mon père me racontait qu'elle ramenait toujours à la maison des pauvres, qu'elle leur offrait un repas, un dîner et même un toit pour la nuit, elle les leur ouvrait la salle de bain pour se laver, leur donnait de nouveaux habits et elle aimait ça.
Elle se sentait responsable de la Terre entière, elle voulait venir en aide à toute personne qui était dans le besoin.

Mon père m'a aussi dit:
- Elle t'aimait, elle t'attendait avec impatience, elle aurait donné sa vie pour ses enfants et tu devrais prendre ça comme un honneur qu'elle l'ai donné pour toi.

Avec mon père, le sujet n'était pas tabou, il me répondait sans aucune gêne, il voulait que je sache à quel point ma mère était exceptionnelle. Je demandais toujours comment elle était, qu'il me raconte des histoires sur elle.

Son histoire favorite était la suivante:
Etant encore une enfant, ma mère voulait absolument travailler pour s'offrir toute seule une paire de chaussures. Elle essaya donc de se faire embarquer dans un pick-up afin d'aller au champs récolter des olives. L'homme qui s'occupait de ramener les femmes aux champs ne l'a pas acceptée, elle était trop jeune.
Le lendemain elle retourna au lieu où le même homme embarquait les femmes pour une journée de travail, mais cette fois, avec le voile intégral (jelaba ou ltam). L'homme la laissa embarquer. Pendant la journée, le propriétaire du champ vînt parler à ma mère pour lui demander le nombre de cageots qu'elle avait rempli.
En entendant le son de sa voix, il était choqué, il appela l'homme qui lui ramenait les employées et lui dit:
- Tu me ramènes des gamines !?
- Non.
- C'est quoi ça ? (En montrant ma mère)
- Bah c'est une femme.
- (il lui arrache son voile) C'EST UNE GAMINE OUI !
- Oh la peste c'est celle d'hier, je l'ai refoulée mais elle est revenue cachée.

Mon père riait aux éclats en racontant cette histoire, il avait aussi les yeux qui brillaient. Je ne les avais jamais vu ensemble mais je savais qu'ils s'aimaient. Ça se voyait aux sourires de mon père quand il parlait d'elle, à ses yeux qui s'illuminaient quand il regardait ses photos, à l'éloge qu'il fait d'elle en tant que femme et au manque qu'il ressentait malgré les années qui passaient...

Je l'appelle "moui Hafida" parce que ses enfants l'appellent "moui" mais moi elle m'expliquait que je ne suis pas vraiment sa fille, donc que je ne devais pas l'appeler "moui" par respect pour mama. Elle me disait:
- Appelles moi khalti Hafida
Mais moi je l'appelais moui Hafida et c'est ainsi que je l'appelle encore aujourd'hui.

Elle a tout fait pour aider mon père à m'élever avec hammi Lhousine, mais sans jamais essayé de prendre la place de qui que ce soit.

Je vivais donc une enfance tout à fait normale, ma mère ne me manquait pas pour tout vous dire, je ne comprenais pas ce qui lui était arrivé, je savais qui elle était mais sans ressentir de l'amour pour elle. J'étais bien trop jeune pour aimer quelqu'un que je ne connais pas simplement parce qu'elle m'a donné la vie.

Ma vie était simple, mais elle se compliqua à mes 6 ans, quand mon père se remaria...

Chronique d'une vie cramée, mais malgré tout, El HamdoulillahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant