~ Chapitre 7 ~

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Aujourd'hui est un désastre.
Aujourd'hui est une réussite.
Aujourd'hui est une fin.
Aujourd'hui est un commencement.

Ça va maintenant faire plus d'un mois que je suis retournée à l'école. Je n'avais manqué aucun jour. Aucun cours. J'était fière d'avoir tenu jusque là. Mais il y a eu Aujourd'hui. Je ne sais plus quoi penser. De moi. Des autres. De la vie. De ma vie.

Après les cours de dessin, de chimie et de biologie, nous avons eu la pause de la matinée. Gaëlle n'a pas pu rester avec moi. Un garçon est venu lui parler après la classe. Il lui a demander s'ils pouvaient parler en privé. Elle a hésité. Alors je suis partie et lui ai dit qu'elle me retrouverai dans le parc.
Elle est belle mon amie. Avec ses boucles blondes qui lui tombent sur les épaules, personne ne peut résister à son charme. Elle a la taille fine. Pas trop grande, pas trop petite. Mais elle n'est pas intéressée par les garçons. Elle dit qu'il n'y en aura qu'un seul dans sa vie et qu'elle n'a sans doute aucune chance de le trouver ici. Je suis du même avis. Le pauvre. Encore un qui va se prendre un râteau !

Je cherche Josef. Je le remarque parmi un groupe de garçons qui rigolent bruyamment . Je pense à m'approcher quand j'aperçois Gabriel. Il me fixr sans ciller. C'est désagréable. Je me retourne et je part. Il est hors de question que je lui parle. Il continue de m'ignorer et je fait de même. Il ne m'a pas renvoyé un seul message depuis la dernière fois. Tant mieux !

Je me promène dans les couloirs. Seule. Depuis le jour de la rentrée je ne me suis pas retrouvée seule ne serait-ce qu'une fois. Gaëlle ou Josef étaient toujours à mes côtés. Pas aujourd'hui.
J'entre dans le grand hall. Il y a toujours beaucoup de monde ici. J'aime bien, j'ai l'impression qu'ici personne ne peux me remarquer. J'ai tort.

En plein milieu, parmis la foule, il y a un vide. Enfin pas tout à fait. C'est la place du piano. Un grand piano à queue, à disposition des élèves. Je m'approche. Je le touche. Je me souviens.

Maman était professeur de piano. J'ai été son élève. Elle disait sans arrêt que j'était sa meilleure élève. Étant petite, je pensais qu'elle me disait cela pour me faire plaisir.
Mais elle était sincère. Je m'en suis rendue compte lorsque j'ai surpris une conversation entre elle et mon père. J'avais 10 ans. Papa disait que je deviendrai une grande joueuse, qu'a 20 ans je serais capable de me produire dans le monde entier.
Maman affirmait que dans quelques temps, si j'était d'accord, elle voulait organiser un concert.
Je l'ai fait ce concert. Du haut de mes dix ans, je paraissait toute petite sur la scène.
J'aimais le piano. Je l'adorait. Pour que les parents soient fiers, je travaillait beaucoup. Et même si je devait me coucher tard, ne pas dormir ou n'importe quoi que ce soit, je le faisait. Parce que cet instrument, c'était toute ma vie.

Et puis maman est partie. Le piano est mort avec elle. Je n'ai plus jamais rejoué.

《Tiens ? Tu es toute seule ?》
Une voix familière viens me tirer de mes pensées. Je me retourne et la voit. Emma est à quelques pas de moi, flanquée de ses 3 amies. Je suis surprise. Ca faisait longtemps que je ne l'avais pas vue. Depuis que Gaëlle l'avait frappée, elle n'avait pas osé m'approcher. Mais Gaëlle n'était pas là en ce moment. Et j'était seule.
《Est ce que notre... merveilleuse pianiste serait de retour ?》se moque t-elle.
Je ne répond pas. Non. Je ne suis pas prête à rejouer.
Elle s'approche de moi.
《Je t'ai parlé. Tu vas me répondre n'est ce pas ?》
Je me tais encore. Qu'est ce que je pourrais répondre ? Non ? Va t'en, arrête de me tourmenter ? Elle me frapperait. Je lui rendrait son coup ! Non. Elle est plus forte que moi. De toute façon, quoi que je dise, quoi que je fasse, elle me frappera.
C'est ce qu'elle fait. Le bruit que fait sa main en s'abattant sur ma joue résonne dans la grande pièce. Silence. Plus un bruit. Tout le monde est tourné vers nous.
《Maman est revenue pour que tu reprennes à jouer ? Mais est ce que tu en es toujours capable hein ? Parce que ca fait quand même 3 ans que tu as pas touché à ce truc 》Elle a parlé fort et a appuyé sur son premier et dernier mot. Elle les a craché.
Parler d'un piano, parler de mon plus grand amour en l'appelant ''truc ?''
Je me redresse. Je me sens soudain tres calme. Je n'ai pas peur. Je n'ai plus peur.
《Arrête.》
J'ai parlé doucement et calmement. Mais assez fort pour que tout le monde m'entende.
《Qu'est ce que t'as dit ? Rassures moi, t'as rien dit la hein ? Reponds moi !》Elle crie. Elle n'arrive pas a garder son calme.
《Si. Et tu m'as très bien entendue. Arrête de me tourmenter. Arrête de me parler. Imagine ce que tu veux, que je suis morte ou n'importe quoi. Mais ça suffit. Je veux juste que tu saches une chose : je ne me laisserai plus faire.》
Je me retourne et commence à partir. Je sens de nombreux regards dans mon dos. Est ce que quelqu'un a déjà défier Emma, la belle Emma, celle qui fait ce qu'elle veut de qui elle veux ? La reine du lycée ? Sans doute que non. Mais il faut bien une première fois.
Je sens une main m'agripper le bras et m'obliger à me retourner.
Elle me frappe. Encore.
《T'as pas répondu à ma première question. Ça veut dire que non  j'imagine ? T'es toujours incapable de jouer ?》
Elle veux me pousser à bout. Elle veux prouver à tout le monde que je ne suis plus capable de jouer ne serait-serait-ce qu'une note, que je ne peux plus m'asseoir face à un piano. Elle sait. Elle sait que je ne sais plus jouer.

J'ai peur. Mais je ne veux pas perdre la face. Alors sous ses yeux, je fait le tour du grand piano, tire le siège et m'assoie. Je soulève le couvercle. Le magnifique instrument me sourit à pleine dents. J'inspire profondément et je ferme les yeux. Je pose un doigt sur une touche. Un la. Le son est clair et cristallin. Les larmes me montent aux yeux. Je les ouvre.

Et je joue.

Spring Waltz. C'était le morceau préféré de maman. Je sens mes larmes couler...

Je joue comme je n'ai jamais joué. Mes doigts bougent tous seuls, je referme les yeux. Je me souviens de maman, qui le jouait merveilleusement bien. Je me souviens du concert, c'était le dernier morceau que j'avais joué. Maman avait pleuré. Papa était ému. J'était fière.

La dernière note reste suspendue dans les airs. J'ouvre mes yeux. Mes camarades de classes, mes amis, ceux que je ne connaît pas aussi. Il a un silence durant lequel l'écho de l'ultime note résonne. Et puis un vacarme. Je suis applaudie.
Je lève les yeux. Emma me regarde. Elle a un regard que je n'arrive pas à déchiffrer. Mais je le reconnait. C'est le même que celui qu'elle avait quand elle ne me détestait pas encore. Elle a les yeux légèrement mouillés. Elle se retourne et s'éloigne. J'observe la salle. Gaëlle pleure. Non, elle sanglote. Elle est dans les bras de Josef qui la serre fort contre lui. Il me regarde. Et me sourit.

Et puis je le voit. Quelques pas derrière mes amis, Gabriel se tient, droit, les yeux fixés sur moi. Il a l'air ému. Je lui sourit. Est ce que le fait de rejouer ma permis de lui pardonner ? Je ne sais pas. Mais en cet instant je m'en fiche. Je me lève et sort. Des regards me suivent, des exclamations fusent.

Je ne sais plus quoi penser.
Est ce que je suis heureuse ?
Est ce que je suis triste ?

Je sens soudain une larme rouler sur ma joue. Je m'assois sur un banc de pierre au milieu d'un massif de fleur. Je ferme les yeux et laisse l'air infiltrer ma poitrine. Je me sens bien.

Je pense à Maman. Je pense à Papa et à Benjamin. Je pense à Gaëlle, Josef et Emma.
Je les ai tous laissés tomber. J'ai laissé tomber ma vie. Je suis en train de la foutre en l'air. Je me déteste. Et je les aimes plus que tous. Même Emma. Surtout Emma.

Pardon.

EspoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant