"De tout mon coeur"

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-23 mars 1642-

Je regarde par la fenêtre. Le carrosse est prêt. Le peu d'affaires que je peux prendre est dans les malles en train d'être placées dans le carrosse. Mes larmes coulent sans pouvoir s'arrêter.

Je regarde ma chambre, ce lit sur lequel je ne dormirai plus jamais. Quand ma mère a quitté le royaume d'Espagne pour venir ici, n'était-elle pas comme moi ? Je sais qu'elle n'aime pas mon père. Elle ne l'a jamais aimé, elle s'est contentée de remplir son travail de souveraine. Je ne veux absolument pas reproduire son parcours. Je veux aimer mon mari et qu'il m'aime en retour. Personne n'a jamais su si mon père aimait ma mère, mais en tous cas, il s'efforce de lui faire plaisir en la couvrant de cadeaux, tout le temps !

Je suis tellement triste que mes parents ne se soient jamais aimés. Quand j'étais enfant, je croyais qu'ils s'aimaient de l'amour le plus sincère, celui des contes de fées. J'ai rapidement compris que ça n'existait pas et qu'il fallait se contenter de ce qu'on avait. Je l'ai compris quand j'ai vu le cousin de mon père la regarder profondément et elle le regardait tristement... Comprenant que ma mère était tombée amoureuse du mauvais prince, je me suis jurée de ne pas faire la même chose. Je n'en ai jamais parlé à personne mais peut-être que mon père le sait...

Quelqu'un toque. C'est la jeune fille de tout à l'heure.

- Que se passe-t-il ? je questionne, en me tournant vers la fenêtre. Le coucher de soleil avait commencé. Il va bientôt faire nuit.

- On vous demande en bas, vous partez, dit-elle hésitante.

- Bien. Puis-je vous demander votre prénom ?

- Aurore..., enfin je veux dire, je m'appelle Aurore, bafouille-t-elle.

- Très joli, fais-je remarquer.

- Heu merci, princesse, mais ils vous attendent en bas...

- Je ne le sais que trop bien, je soupire.

On sort de ma chambre, non sans un dernier regard à l'intérieur. Avant qu'elle ne rejoigne les cuisines, Aurore s'approche de moi, et me prend la main.

- Madame, je vous souhaite tout le bonheur du monde. Que Dieu vous garde...

Je n'ai pas le temps de la remercier qu'elle s'est déjà enfuie, les joues rosies et les cheveux en pagailles.

Je suis dans les jardins et le parfum des fleurs m'enivre, c'est le parfum qui a bercé mon enfance. Le parfum que je sentais quand je courais dans les allées de rosiers avec Léon et Isabelle, durant les chaudes journées d'été. Une servante venait nous gronder pour avoir marché sur ses plantes et on s'excusait avant de recommencer le lendemain.

J'arrive devant le carrosse et toute ma famille m'attend, toute ? Non, il manque Simon. Ce n'est pas très grave, il n'est pas souvent présent, le soir. Il est à la recherche de la nouvelle Reine de France.

Dehors, il fait froid. Je remonte mon châle sur mes épaules et regarde mes parents, puis Isabelle et enfin le petit Léonard. Je prends ma soeur et mon frère dans mes bras et les embrasse.

- Tu ne nous oublieras pas, hein, Ore' ? chuchote ma soeur.

- Jamais, je penserai tous les jours à vous et vous écrirai dès que je pourrai. Je ne cesserai de vous chérir de tout mon coeur toute ma vie.

Je me dirige devant mes parents et les embrasse sans un mot. Ma mère saisit mes mains mais je les retire.

- Oh, je t'en prie, ne nous en veux pas...

- La prochaine sur la liste c'est Isabelle, je me trompe ?! je parle assez bas pour que les autres n'entendent pas.

- Nous n'aurons peut-être pas-

- JE ME TROMPE ?! je hurle. Je n'ai jamais crié aussi fort devant mes parents. J'avais besoin de crier, d'extérioriser toute cette tristesse ou cette haine, je ne sais pas trop. Peut-être les deux.

- Eléonore, tu ne-

- Calmez-vous Diane, parle mon père.

Il la raccompagne à l'intérieur tandis que je monte dans le carrosse, ma soeur les yeux larmoyants, mon frère la consolant comme il pouvait... Ce tableau me donne mal au coeur.

Je m'enfonce dans l'intérieur du carrosse de l'autre côté. J'ai vue sur la forêt.

Ma tête est lourde et mes paupières se ferment toutes seules, alors je m'endors.

Mon sommeil fut comblé de toutes sortes de cauchemars comme j'en ai l'habitude maintenant. Le carrosse est, à présent, arrêté pour que l'on pique-nique. J'ai dévoré le repas car, je m'en rends compte maintenant, je n'ai pas dîné hier ni petit-déjeuné aujourd'hui.

Nous reprenons la route après avoir pris l'air. Je me félicite d'avoir pris des livres car le voyage est si long que je ne prends même plus compte des heures. Je ne sais pas quel jour on est.

Durant mon voyage, je prie, je pense à mes frères et soeur et je révise mon norvégien. Je la connais par coeur cette langue, comme pour beaucoup d'autres langues mais je n'ai pas encore une prononciation parfaite.

Quand le carrosse s'arrête, je regarde dehors et vois un port. Je vais prendre un bateau pour atteindre la norvège car nous sommes encore en France.

Je monte dans le bateau et les gardes royaux français me quittent me laissant aux mains de ces barbares de norvégiens. Je me rends compte que je hais le bateau car je ne cesse d'avoir des hauts-le-coeur. Les norvégiens ne me parlent pas du voyage. J'essaye d'engager la conversation, mais ils ne répondent pas. Je me demande si c'est parce qu'ils ne comprennent pas comment je parle leur langue mais finalement, un brun se retourne et me regarde tristement, comme s'il avait pitié de moi et dit :

- Le prince interdit que l'on vous parle.

- Et pourquoi ça ? je demande, déjà énervée de cet homme que je n'ai jamais vu.

- Il veut vous garder pour lui et ne supporte pas qu'un autre homme puisse vous charmer.

- Quel idiot, je murmure en français pour ne pas qu'il comprenne. On peut tout de même parler un peu, cela fait plus d'une semaine que je n'ai parlé à personne. Il n'en saura rien si c'est ce dont vous avez peur.

Ils ne répondent pas. Ils le craignent vraiment apparemment ou alors ils ne veulent juste pas me parler.

Quand le bateau arrive enfin à bon port, je suis exténuée car je n'ose pas m'endormir quand je suis en bateau, j'ai tellement peur qu'il y ait une tempête et que je me retrouve enfermée dans ma chambre avec l'eau qui monte jusqu'à m'ensevelir toute entière et m'étouffer.

Nous reprenons le carrosse et arrivons enfin devant la grande forteresse de mon futur époux. Pendant que les gardes déchargent mes malles du carrosse, j'admire le palais, mon palais bientôt... Je suis époustoufflée par autant de beauté. Au moins, le lieu ne me paraît pas aussi monstrueux que son maître. Les jardins sont tout aussi beaux ! Je suis satisfaite de ma nouvelle maison, c'est déjà ça...

Plus qu'à rencontrer mon fiancé ! Et ça, je ne sais pas pourquoi, mais je sens que ça va être mémorable...

Secrets RoyauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant