Antagorria [TERMINÉ]

Un étrange paysage urbain

Antagorria était la seule ville habitée de la planète, aussi ne faisait-on pas de différence entre son nom et celui de l'astre. Quand les colons étaient arrivés sur cette terre près de deux siècles auparavant, ils avaient espéré y trouver des sols arables. Au lieu de ça, le seul continent qui s'étendait au milieu des océans était recouvert de marais à peine salubres qu'ils avaient dû laborieusement assécher afin de pouvoir y vivre.

Comme l'ellipse orbitale de la planète était très peu marquée, les variations climatiques étaient insignifiantes. On ne différenciait la saison chaude de la saison tiède que par la présence de brumes étouffantes que le vent du large ramenait vers les côtes. Pendant ces périodes, l'air circulait peu et le taux d'humidité était considérable, provoquant de fortes chaleurs auxquelles on peinait à s'habituer. La saison tiède offrait pour sa part des températures douces et agréables accompagnées d'un air chargé d'iode.

Il ne pleuvait jamais sur le continent. Les habitants d'Antagorria tiraient leur eau potable des sources qui parcouraient les marais et qui servaient également à irriguer les champs. La consommation était strictement rationnée car bien que les lieux habités soient situés en bord de mer, la dangerosité des océans rendait la récupération d'eau de pluie périlleuse pendant les orages marins. Pour alimenter ses autres besoins, la ville avait mis au point un système de recyclage des flux qui étaient charriés par les brumes estivales.

Ce matin-là, il faisait presque frais. Quand le véhicule de la Couveuse s'arrêta pour déposer Egan à l'entrée de la cité, le soleil se levait à peine. Le jeune homme sortit de la voiture et ouvrit grand les yeux. L'étrange paysage urbain qui s'étendait devant lui était tellement saisissant qu'il en était bouche bée.

- "Impressionnant, n'est-ce pas ?"

Egan se tourna vers le chauffeur qui ajouta :

- "Je ne connais personne qui n'ait eu un temps d'arrêt en découvrant Antagorria pour la première fois."

Egan se retourna à nouveau vers l'effarante dentelle de poutrelles qui s'étalait à perte de vue. Les constructions étaient surélevées par de gigantesques piliers et les lieux de vie étaient reliés les uns aux autres par un surprenant enchevêtrement d'escaliers et de ponts suspendus.

- "L'architecture de la ville a été entièrement pensée de sorte à ce que la lumière et l'air circulent en permanence entre les bâtiments," expliqua le chauffeur.

Egan étudia les édifices les plus proches et vit la lumière du jour naissant percer au travers des escaliers, glisser entre les piliers et passer au travers des fenêtres des habitations. Le sol était suffisamment éclairé pour qu'on puisse se déplacer sans difficulté. Certaines parties de la chaussée étaient encore plongées dans une semi-pénombre mais il était facile d'imaginer qu'elles accueilleraient les rayons du soleil plus tard dans la journée.
Le chauffeur poursuivit :

- "Tu as toute la première journée pour t'installer. Commence par te rendre dans le bureau administratif du district dont tu dépends. On t'indiquera où se trouve ton logement et on t'expliquera tout ce que tu as besoin de savoir. Je dois te laisser, maintenant. Bonne chance !"

Egan remercia le chauffeur qui repartit en direction des marais. Le jeune homme contempla longuement la ville, intimidé par son allure monumentale. Puis il porta à son épaule le baluchon qu'on lui avait remis lors de son départ de la Couveuse. Le sac ne contenait que quelques vêtements de rechange et l'équivalent d'un repas. Egan n'avait aucune possession, aussi n'emmenait-il avec lui aucun souvenir le ramenant à la vie qu'il quittait. Encore un moment d'hésitation. Quand il se sentit enfin prêt, il pénétra dans les entrailles de ce lieu singulier et tentaculaire.