- "J'ai fini de nettoyer l'appartement et j'ai remis votre eau à niveau. Avez-vous besoin d'autre chose ?"
- "Non, ça ira, Nyle. Tu peux t'en aller."
- "Au revoir, Préfet."Sans lever les yeux du dossier qu'il était en train de lire, l'homme lui rendit son salut d'un geste de la main. A peine Nyle avait-il refermé la porte d'entrée que le Préfet délaissa la pile documents pour se précipiter dans sa salle d'hygiène. Dans le miroir, il nota son embonpoint, exacerbé par son costume mal ajusté. Il soupira en passant la main sur son crâne dégarni, tentant en vain de ramener quelques mèches sur son front. Grimaçant, il s'assura aussi qu'il n'avait aucun reste de nourriture coincé entre les dents. Puis il retourna dans la pièce principale de son appartement et l'arpenta de long en large avec nervosité. Bien qu'étant Citoyen de Deuxième Catégorie, son statut de Préfet de Police d'Antagorria lui donnait droit à de nombreux avantages dont ce vaste logement faisait partie. Celui-ci disposait de plusieurs pièces et était directement desservi par ascenseur. Une vibration de son organe de liaison indiqua au Préfet que l'heure de son rendez-vous était arrivée. L'homme ne put réprimer un frisson d'excitation.
Il n'était ni beau ni désirable et il le savait. Mais quelle importance cela avait-il lorsqu'on avait du pouvoir ? Son occupation consistait à faire en sorte que toutes les lois de l'Administration soient correctement appliquées par les citoyens et à poursuivre les contrevenants. L'excès de zèle avec lequel il exerçait son rôle lui avait récemment valu une pluie d'honneurs de la part de ses supérieurs, ce qui s'était traduit par une augmentation conséquente de son niveau de vie grâce à une revalorisation de son statut hiérarchique. S'il continuait sur cette voie, l'homme pouvait espérer devenir bientôt Citoyen de Première Catégorie. Ce n'était plus qu'une question d'années, trois ou quatre, probablement.
En attendant, la prime de confort exceptionnelle qu'il venait de recevoir lui permettait de s'offrir des prestations d'un nouveau genre, habituellement réservées à l'élite de la société. Auparavant, pour assouvir certains de ses besoins, il se servait de son passe-droit de Préfet afin de se rendre dans le district de la Guilde de l'Amusement, près du port. C'était là que se trouvaient toutes les Maisons de Plaisirs et salles de jeu clandestines, des lieux qu'on ne pouvait trouver que dans les Bas-Quartiers. Il était facile d'y trouver une fille, voire plusieurs, prêtes à assouvir les désirs de quiconque contre une poignée de tickets de conforts. Le Préfet savait qu'elles échangeaient ensuite illégalement ces tickets, qui ne valaient pas grand-chose dans les autres quartiers d'Antagorria, contre de la nourriture. Une sorte d'économie parallèle s'était ainsi mise en place entre la ville et ses Bas-Quartiers, ces derniers offrant toutes sortes de services illicites aux Citoyens chanceux de Première et Deuxième Catégories, les seuls qui étaient autorisés à aller et venir librement entre les districts. L'Administration était bien entendu informée de ce commerce. Tant qu'il restait confiné au secteur portuaire, elle le tolérait.
Quelques mois plus tôt, alors que le Préfet prenait du bon temps dans l'une de ses Maisons préférées, il avait entendu parler d'un autre type de prestation dont seuls quelques puissants Citoyens de Première Catégorie pouvaient bénéficier, leur tarif étant excessivement élevé. Il s'agissait du plaisir prodigué par des jeunes femmes aussi mystérieuses qu'exotiques dont on disait qu'elles venaient d'autre planètes. Il se murmurait que certaines seraient les descendantes de créatures humanoïdes d'autres galaxies, et que leurs origines leur conféraient des capacités psychiques à la fois extraordinaires et inédites. A l'aide de substances que seuls les membres de l'Organisation, qui régentaient les Bas- Quartiers au même titre que les Hauts-Fonctionnaires dirigeaient la ville, étaient à même de se procurer, ces exquises demoiselles pénétraient dans le subconscient de leurs clients et parvenaient à leur apporter une jouissance psychique extrêmement intense qu'aucun acte charnel n'était en mesure d'égaler. La renommée de ces femmes était telle que nul n'ignorait leur existence dans le système Suhelien. Aussi n'était-il pas rare que les passagers de navires spatiaux en escale sur Antagorria, le plus souvent des commerçants originaires de Brascau, profitent de leur passage sur la petite planète grise pour se rendre dans les Maisons de Plaisirs les plus réputées des Bas-Quartiers. Les aptitudes réelles ou supposées de ces femmes excitaient tellement la curiosité du Préfet que s'offrir du temps avec l'une d'entre elles était devenu son obsession. Et aujourd'hui, grâce aux fruits récoltés de son labeur, il allait enfin pouvoir réaliser son fantasme.
Il inspira profondément et essaya de rester calme. La jeune femme dont il s'était attaché les services n'allait plus tarder.
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Antagorria [TERMINÉ]
Science Fiction*☆* Gagnant du concours - Le Championnat 2018 - Thème : « Les héros que nous aimons » *☆* Egan a toujours su qu'il ressentait les choses différemment des autres. En grandissant sur Antagorria, une planète isolée à l'environnement hostile, il doit...