En fin de matinée, l'organe de liaison d'Egan s'activa au creux de son poignet. Il déchiffra facilement le message qui lui était adressé : c'était une convocation à se rendre immédiatement à son Bureau Administratif. Inquiet, il se demanda si cela avait un rapport avec ce qui s'était passé entre Janelle et lui la nuit précédente. Etait-ce pour cela qu'elle était si contrariée après leurs ébats, avait-elle couru un risque en ayant des relations sexuelles avec lui ? Il se souvenait maintenant avoir entendu dire que la fraternisation entre les Fonctionnaires et les Citoyens dont ils avaient la charge était considérée comme une lourde faute. En même temps, qui pouvait être au courant ?
- "Un problème ?" s'enquit son Maître de Recherche, qui était resté dans la même pièce pour travailler.
- "Je... j'ai reçu une convocation de l'Administration," bredouilla Egan.
- "Oui, comme tous les troisièmes jours de la décade. Vas-y, qu'est-ce que tu attends ? On continuera après le déjeuner. J'aimerais bien qu'on arrive à régler cette équation dans l'après-midi car je donne un cours en fin de journée et demain matin tu ne seras pas disponible, étant donné que c'est ta journée de travail au restaurant du Ministère."Egan était confus. A cause de la fatigue ou, pire, de l'émotion, il avait oublié qu'il s'agissait juste de l'entretien au cours duquel on lui remettait ses tickets de confort.
- "Euh... Oui, entendu. A tout à l'heure," s'excusa-t-il en quittant précipitamment l'office.
Adrian Steiner leva les yeux au ciel et grommela des paroles que le jeune homme n'entendit pas. Il n'eut cependant aucune difficulté à en deviner le sens.
Un quart d'heure plus tard, il arriva au Bureau Administratif et Janelle le reçut. Les cheveux de la jeune femme étaient sagement tirés en arrière et les traits de son visage, très peu marqués par la fatigue. Egan était admiratif. Quand il s'était vu dans le miroir ce matin au réveil, sa ressemblance avec les ouvriers exténués qu'il avait eu l'occasion d'apercevoir quelques années plus tôt sur le Port lui avait paru frappante. La jeune femme lui accorda à peine un regard. Bien que la porte soit restée ouverte, ils étaient seuls dans son bureau et Egan se demanda de quelle façon elle allait s'adresser à lui. En le tutoyant ?
- "Bien. Le registre de cette décade ne mentionne aucun incident. Par conséquent, le nombre de vos repas journaliers autorisés est maintenu, et rien ne s'oppose à ce que je vous remette le nombre habituel de tickets de confort. Avez-vous quelque chose de particulier à me signaler ?"
Elle avait parlé d'une voix monocorde, sans chaleur, et ses yeux étaient froids comme devait l'être le fond de l'univers. Même s'il s'était attendu à ce type de réaction, ça n'en restait pas moins décevant. Comme Egan ne réagissait pas, Janelle releva la tête :
- "Je vous ai posé une question," fit-elle sèchement remarquer. "Avez-vous quelque chose à me dire ?"
Oui, il avait effectivement des choses à lui dire. Ce qui s'était passé hier n'était pas juste arrivé à cause de l'alcool. Il avait aimé la tenir dans ses bras, respirer sa peau, sentir ses fluides se mêler aux siens. Il la désirait depuis des années et il ne regrettait rien de ce moment intense qu'ils avaient partagé. Etait-il nécessaire de se comporter à nouveau comme des ennemis alors qu'ils étaient allés si loin dans l'intimité ? Qu'il portait encore les traces de ses griffures et la marque de ses baisers ? Si elle ne voulait pas que cela se reproduise un jour, il le comprenait et était prêt à l'accepter. Mais pourquoi se fermer comme ça et le tancer avec un tel mépris ? Oui, il avait des tas de choses à lui dire, et c'était bien ça le plus triste. Il hésita un instant, s'humecta les lèvres avant de parler :
- "Je... Non."
Ça n'en valait pas la peine, n'est-ce pas ?
- "Très bien. Dans ce cas, voici vos tickets."
Elle les compta devant lui, sans le regarder. Quand elle leva les yeux, ceux-ci ne laissaient transparaître aucune émotion. Y'avait-il une seule personne capable de sentiments sur cette planète ?
- "L'entretien est terminé. Bonne journée, je ne vous retiens pas."
Egan empocha les tickets et partit sans rien dire. Une fois à l'extérieur, il s'alluma une cigarette. Il espérait secrètement qu'une seule serait suffisante pour faire disparaître le noeud d'amertume qui lui restait coincé dans la gorge.
Rien n'était moins sûr.
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Antagorria [TERMINÉ]
Science-Fiction*☆* Gagnant du concours - Le Championnat 2018 - Thème : « Les héros que nous aimons » *☆* Egan a toujours su qu'il ressentait les choses différemment des autres. En grandissant sur Antagorria, une planète isolée à l'environnement hostile, il doit...