Antagorria [TERMINÉ]

Besoin d'air

- "Ça n'a pas l'air d'être la grande forme, aujourd'hui. Des soucis ?"

Egan tourna la tête vers Nyle qui l'observait avec curiosité. Il prit cigarette avant de répliquer, l'air faussement sérieux :

- "Pourquoi, je n'ai pas été à la hauteur ?"
- "Bien sûr que si, tu sais bien que tu ne me déçois jamais," se réjouit Nyle. "D'ailleurs, je devrais te rendre visite plus souvent !"

Depuis leur première rencontre, ils ne s'étaient revus qu'à trois ou quatre occasions, à chaque fois à l'initiative de Nyle qui était venu frapper à sa porte après avoir aperçu de la lumière dans son appartement. Egan se redressa et attrapa le paquet d'allumettes qui se trouvait sur la table de chevet. Sa cigarette s'était encore éteinte. Comme son camarade l'observait toujours avec curiosité, il soupira :

- "Je me suis fait sermonner par mon directeur d'école avant de recevoir une salve de remontrances de la part de ma correspondante administrative. Ils se sont probablement donné le mot ce matin pour synchroniser leurs efforts."

Nyle se leva et ramassa les vêtements qu'il avait délaissés au pied du lit peu de temps après avoir franchi la porte du studio :

- "C'est Janelle ta correspondante ? Mon pauvre, c'est vrai qu'elle n'est pas commode," reconnut-il en se rhabillant. "Qu'est-ce qu'elle te reproche ?"
- "De ne pas passer la voir assez souvent, il semblerait que je lui manque," ironisa Egan, déclenchant aussitôt le rire de son camarade.

Egan aurait bien aimé que Nyle s'attarde un peu lors de ses visites nocturnes. C'était un jeune homme charmant et intéressant, et il appréciait sa compagnie.

- "C'est sûr que ça lui ferait du bien de passer plus de temps avec toi, peut-être même que ça la rendrait aimable," ricana ce dernier.

Il se baissa pour lacer ses chaussures. Une fois rhabillé, il sourit à Egan :

- "Tu sais, dans le fond c'est une brave fille. Si elle est aussi désagréable, c'est uniquement pour se donner un genre. Elle essaie juste de se protéger."
- "Se protéger de quoi, des mauvais citoyens qui espèrent en vain qu'on les laisse tranquilles ?" railla Egan.

L'autre jeune homme le regarda avec sérieux :

- "Il ne fait pas bon de trop s'attacher aux gens, ici," déplora-t-il. "Parce qu'ils peuvent disparaître et vous abandonner du jour au lendemain."

Il y avait dans son regard un mélange de tristesse et de tendresse qui troubla Egan. L'espace d'un instant, il lui sembla que l'insouciance si souvent affichée par le jeune homme n'était qu'une façade. Nyle se ressaisit et esquissa à nouveau un sourire. Il fit un clin d'oeil à Egan et quitta la pièce sans un mot.

Perplexe, Egan passa quelques minutes à méditer les paroles de Nyle. En voulant prendre une autre cigarette, il s'aperçut que son paquet était vide. Il avait pris l'habitude de fumer plusieurs années auparavant, à l'instar de ses collègues de l'exploitation agricole. Comme en ville, il était encore plus facile de s'approvisionner, sa consommation était restée stable. En échange d'un ticket de confort, il était facile d'obtenir un ou deux paquets de cigarettes. Un de ses camarades d'école lui avait présenté son fournisseur, un homme originaire des Bas-Quartiers qui disposait d'un visa lui permettant d'avoir des échanges commerciaux avec les districts adjacents. Il exerçait de nuit à l'angle de la 72ème aile du module Grand Sud, au niveau de la chaussée, le long de la bordure du district. En regardant son paquet vide, Egan se dit qu'un peu d'air ne pourrait pas lui faire de mal. Il s'habilla à la hâte, empocha son organe de liaison et sortit du bâtiment.