Le passage

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Il trouva l'homme à sa place habituelle, adossé au mur qui encerclait les Bas-Quartiers. Seules les personnes en possession de visas administratifs pouvaient circuler d'un lieu à l'autre en empruntant les bornes de sécurité surveillées par les autorités. Le mur qui entourait la zone était trop haut pour qu'un piéton puisse voir ce qu'il y avait de l'autre côté. Et comme l'accès aux logements qui se trouvaient dans cette partie du district était strictement réservé au personnel de l'Administration, Egan n'avait aucune idée de ce à quoi ressemblaient les habitations autour du port. Une fois seulement, il avait entrevu l'océan en montant aussi loin que possible dans l'immeuble voisin de son école, l'un des plus hauts du district. Mais il n'avait pu accéder à son sommet car celui-ci, comme toutes les terrasses des édifices d'Antagorria, était réservé aux élites de ce monde. Depuis les escaliers, Egan était néanmoins parvenu à discerner une grande étendue grise qui scintillait sous la lumière du soleil. Il était redescendu frustré de ne pas en avoir vu davantage.

Quand le jeune homme s'approcha, le visage du vendeur originaire des Bas-Quartiers s'éclaira. Il s'écarta du mur pour saluer Egan. L'homme avait reconnu son client et savait exactement ce que ce dernier venait chercher. Aussi ne perdit-il pas de temps :

- "Un vaisseau cargo est arrivé de Brascau il y a trois jours, j'ai des choses intéressantes à te proposer."

Il sortit de son sac différents petits paquets, tous remplis de feuilles séchées à l'allure exotique. Il expliqua les caractéristiques de chacune et en fit brûler certaines pour qu'Egan puisse faire son choix.

- "Celles-ci sont très bien contre les insomnies," commenta-t-il alors qu'Egan roulait quelques feuilles dans un papier si fin qu'il était presque transparent.
- "Qu'est-ce qui te fait penser que je suis insomniaque ?"
- "Tu viens toujours me voir au milieu de la nuit," fit remarquer le vendeur de cigarettes.

Ils négocièrent les quantités jusqu'à se mettre d'accord, puis Egan remit à son interlocuteur le nombre de tickets convenu en échange de la marchandise. Ils discutèrent encore un peu pendant qu'Egan terminait la cigarette que son fournisseur lui avait offert à son arrivée :

- "Ça fait longtemps que tu fais du commerce ?"
- "Quelque temps," lui dit l'homme.
- "C'est difficile d'obtenir un visa ?"
- "Assez."
- "C'est comment de l'autre côté ?"
- "Différent."

Egan hésita avant de poser la question qui le taraudait depuis plusieurs décades :

- "Tu sais s'il existe un passage qui mène au port ?"
- "Il y en a plein, mais ils sont tous surveillés."
- "Tous ?"

L'homme étudia brièvement Egan avant de répondre :

- "Tu risques gros si tu te fais prendre."
- "Je sais."
- "Pourquoi tu veux aller de l'autre côté ?"
- "Pourquoi pas ?"

Est-ce que l'ennui était une raison suffisante ?

- "A cinq cent mètres d'ici, le mur s'est affaissé. Les briques ont été remises en place mais elles n'ont pas été scellées. Il y a des annotations tactiles sur celles qu'on peut déplacer, n'oublie pas de les repositionner quand tu seras passé de l'autre côté."

Il reprit après une courte pause :

- "Pour aller au port, marche en direction du sud-est pendant une vingtaine de minutes. Personne ne prêtera attention à toi, les gens sont trop occupés à essayer de se nourrir pour s'occuper des autres. Mais méfie-toi des patrouilles. Si jamais tu te fais prendre, dis-leur que tu as profité du contrôle d'un véhicule alimentaire pour traverser la borne de sécurité sans être vu."

Le coeur d'Egan cogna fort dans sa poitrine. Ainsi, il existait un passage libre d'accès.

- "Quoi qu'il arrive, ne répète à personne ce que je viens de te dire. C'est risqué, pour moi, de t'expliquer tout ça," l'avertit le marchand.
- "Pourquoi tu me fais confiance ?" l'interrogea Egan.

L'homme eut un sourire en coin :

- "Pourquoi pas ?"

Antagorria [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant