La borne de sécurité

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Dans un premier temps, Egan avait cru à une blague. Ce n'est qu'après l'arrivée de sa collègue, quand Denato vint le chercher pour partir, qu'il réalisa que son employeur ne plaisantait pas.

Ils prirent un ascenseur pour descendre au rez-de-chaussée et montèrent à bord du petit véhicule qui les attendait. Tandis que le chauffeur roulait en direction des Bas-Quartiers, Egan alluma une cigarette. C'était son dernier paquet et il était déjà à moitié vide. Il pesta mentalement contre Janelle qui n'avait pas voulu lui dire jusqu'à quand il serait privé de tickets de confort. Il était aussi conscient que s'il n'avait pas haussé le ton, cette partie de la sanction aurait pu être évitée. Il se tourna vers Denato :

- "Qu'est-ce qu'on va faire au Port ?"
- "Je veux te présenter quelqu'un avec qui tu vas travailler."
- "Pourquoi, je change de poste ?"

L'homme sourit mais n'en dit pas davantage. Contrairement aux Antagorriens qui s'exprimaient de façon très directe, Denato fonctionnait par énigmes. Ses réponses étaient soit partielles, soit à double sens. Et encore, quand il daignait répondre. C'était une habitude qui était typique des Déllehnis. Ce mode d'expression n'avait toutefois rien à envier au parler des Brascals, qui usaient et abusaient des périphrases. Tandis qu'ici, sur Antagorria, les habitants appelaient les choses par leur nom et répondaient rarement à côté de la question. Un langage aussi peu imagé ne pouvait être que la conséquence d'un manque chronique d'imagination, raillait souvent Denato. Il n'avait sans doute pas tort, lui accordait Egan.

Le jeune homme sentait qu'il aurait du mal à obtenir plus de détails dans l'immédiat, aussi décida-t-il de patienter jusqu'à ce que les réponses se présentent d'elles-mêmes.

Le véhicule marqua un arrêt à la borne de sécurité qui séparait la ville des Bas-Quartiers, et l'un des gardes scanna les organes de liaison des occupants. Une lumière rouge clignota quand ce fut au tour d'Egan. Denato prit la parole avant que le militaire ait le temps d'ouvrir la bouche :

- "J'ai une autorisation pour ce jeune homme," prévint-il en remettant un petit objet cylindrique au garde.

Il s'agissait d'un rouleau de papier de quelques centimètres de largeur qui était recouvert d'impressions en relief. L'homme en uniforme plaça une de ses extrémités dans l'appareil qu'il portait à la ceinture, puis il posa ses doigts sur une zone incurvée située au-dessus de la machine. Egan reconnut un lecteur d'écriture tactile, sur lequel l'écran de contrôle habituel avait été remplacé par un pavé à picots. L'appareil avala doucement le papier et les picots situés sous les doigts du garde s'activèrent. L'homme resta concentré pendant qu'il déchiffrait le message qui était transmis sous ses doigts. Au bout d'une vingtaine de secondes, la machine vint à bout du rouleau et le militaire se tourna vers sa collègue qui se trouvait à l'autre bout de la borne. Il lui fit un signe de la main et la garde ouvrit la barrière qui bloquait le passage. L'homme rendit le document à Denato et s'écarta pour laisser passer la voiture. Le chauffeur démarra sans tarder.

Egan observa avec intérêt le rouleau que Denato venait de récupérer. Ce dernier, qui s'en aperçut, le lui tendit.

- "Tu n'arriveras pas le lire," déclara-t-il alors que le jeune homme le faisait glisser entre ses doigts. "Le contenu est codé. Le garde s'est servi de la machine pour le déchiffrer."
- "Qu'est-ce que ça dit ?"
- "Que tu as le droit de passer de l'autre côté," répondit Denato avec un air malicieux.
- "Ça vient de l'Administration ?"
- "Non, du Ministère."

Antagorria [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant