Le plus gros problème d'Antagorria

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- "Hé bien, j'en apprends des choses, ce soir !" s'exclama Melliah sur un ton enjoué.

Elle changa vite de sujet :

- "Quelle chaleur... J'ai apporté quelque chose de très rafraîchissant, je vais vous faire goûter."

Joignant le geste à la parole, elle s'empara d'une bouteille remplie d'un liquide bleu turquoise qui était restée près de l'entrée. Elle les laissa terminer leur whisky et leur servit ensuite sa liqueur. La boisson, délicatement parfumée, avait un goût exquis. Et bien qu'un peu sucrée, elle laissait dans la bouche une grande sensation de fraîcheur. Mais elle était aussi très alcoolisée, encore plus que le whisky brascal.

- "Qu'est-ce que c'est ?" demanda Egan, qui sentait déjà la boisson lui monter à la tête.
- "Un alcool de fruits," répondit la jeune femme. "Ça vient de la Géante Emeraude."
- "Déllehn ?"
- "Oui. Tiens, reprends-en, tu supporteras mieux la chaleur."

Et, se tournant vers Angus Mauroy :

- "Il est méfiant ton ami, Gouverneur !"
- "C'est vrai, Egan n'est pas un jeune homme facile à apprivoiser," confirma le dirigeant. "Mais c'est aussi ce qui fait son charme, n'est-ce pas, ma belle ?"

Melliah répliqua par une moue boudeuse qui laissait à penser qu'elle ne partageait pas cet avis. Elle rangea sa bouteille près du canapé et saisit un petit paquet dans la doublure de son vêtement. Puis, sans y être invitée, elle prit place sur les genoux d'Egan qui la considéra avec surprise. Elle l'ignora. Avec minutie, elle sortit quelques feuilles séchées de son paquet et les roula ensemble jusqu'à former une petite cigarette. Elle se tourna ensuite vers le Gouverneur qui, sans qu'un mot soit nécessaire, lui tendit son briquet. La jeune femme brûla l'une des extrémités du petit cylindre, insistant jusqu'à ce que celui-ci reste allumé. Elle approcha la cigarette des lèvres d'Egan.

- "Inspire lentement et garde bien la fumée avant de la recracher," lui intima-t-elle.

Egan regarda brièvement le Gouverneur, qui les observait avec un sourire énigmatique mais se gardait bien d'intervenir. Le jeune homme s'exécuta, et les effets ne se firent pas attendre. Ce qu'il venait d'inhaler n'avait absolument rien d'un tabac ordinaire. Il fut soudainement pris de vertiges. Ceux-ci s'estompèrent vite pour être remplacés par une singulière sensation de légèreté, comme si son corps s'était mis à flotter dans les airs. Dans une vaine tentative de reprendre pied avec la réalité, il voulut se frotter les yeux mais la belle courtisane l'en empêcha. Elle écarta gentiment les bras du jeune homme pour dégager son visage et, à la grande stupeur de ce dernier, l'embrassa à pleine bouche. Sa langue avait un goût fruité, et le parfum capiteux de sa peau était aussi enivrant que la liqueur qu'il venait de boire. Ce n'est que lorsqu'elle se retira qu'il réalisa qu'elle en avait profité pour lui glisser un comprimé sur la langue. Le temps qu'il en prenne conscience, celui-ci avait déjà fini de fondre. Que lui avait-elle donné ? Son coeur cognait maintenant fort dans sa poitrine, et chaque sensation était ressentie au centuple. Il sentait Melliah se frotter contre lui, ondulant de manière lascive et sensuelle. Ou bien était-ce une illusion ? A ce stade, il ne parvenait plus très bien à faire la différence entre ses fantasmes et la réalité. Il ouvrit les yeux... Les avait-il seulement fermés ? Il se força à rester concentré, inspira profondément et reprit enfin le contrôle sur ces visions hallucinatoires.

- "Arrête, s'il-te-plaît" exigea-t-il en retirant les bras que la jeune femme avait passés autour de son cou.

Il avait parlé sur un ton posé. Melliah, qui ne s'y attendait pas, scruta ses yeux avec attention comme pour s'assurer qu'il était conscient de ce qu'il venait de dire. Egan soutint son regard et se redressa dans son fauteuil tout en maintenant une pression ferme sur les bras de la belle Courtisane.

- "Qu'est-ce que tu m'as donné ?"

Il ne la lâcha qu'une fois qu'elle se fut écartée.

- "Ça ne te fait rien ?" s'exclama-t-elle, stupéfaite.

Autour d'Egan, les murs de la pièce tourbillonnaient vivement. Aurait-il dû se lever qu'il aurait été bien incapable de faire deux pas sans perdre l'équilibre.

- "Bien sûr que ça me fait quelque chose," s'agaça-t-il. "Qu'est-ce que c'était ?"

Melliah, interdite, consulta silencieusement le Gouverneur par-dessus son épaule. Angus Mauroy avait lui aussi l'air très surpris. Elle se tourna à nouveau vers le jeune homme :

- "Quelque chose pour t'aider à te détendre. Tu n'es pas du genre à lâcher prise facilement," remarqua-t-elle.

Elle était toujours assise sur les genoux d'Egan, qui l'examinait avec circonspection. Elle se baissa, saisit la bouteille de liqueur et remplit le verre du jeune homme.

- "Tu veux me rendre ivre, maintenant ?"
- "Tu ne l'es pas déjà ?" le taquina-t-elle.
- "Presque," admit-il en vidant la boisson d'un trait, ce qui fit sourire le Gouverneur.

Elle le resservit aussitôt.

- "Tu devrais demander un massage à Melliah, elle est très douée pour ça," suggéra le dirigeant.

Melliah était déjà bien entreprenante à son égard. Etait-il nécessaire de l'inciter à en faire encore davantage ? La jeune femme fit distraitement courir ses doigts dans les cheveux d'Egan, jouant avec quelques mèches :

- "Ça fait longtemps que tu ne les as pas coupés," observa-t-elle. "Tu ne te fais jamais réprimander de les avoir aussi longs ?"
- "Si, souvent."
- "Tu aimes qu'on te fasse des reproches ?"
- "Pas vraiment, non."
- "Alors pourquoi tu ne les gardes pas plus courts ?"
- "Et toi, pourquoi tu me poses toutes ces questions ?"
- "Pour te faire parler, j'aime le son de ta voix..."

Egan voulait lui dire de retirer sa main, mais l'état cotonneux dans lequel il se trouvait depuis qu'il avait goûté à l'étrange cigarette commençait à le rendre apathique. Alors il s'enfonça dans son fauteuil et la laissa faire.

Angus Mauroy se servit à boire et alluma une nouvelle cigarette.

- "Melliah est une personne très attentionnée," affirma-t-il. "J'apprécie tout particulièrement ses talents lorsque la journée a été longue."
- "Tu as eu une dure journée, Gouverneur ?" s'enquit affectueusement la jeune femme.
- "Juste quelques réunions difficiles sur la fin."

Puis, s'adressant à Egan :

- "Sais-tu quel est le plus gros problème d'Antagorria ?"

Egan ne réalisa pas tout de suite que c'était à lui que parlait le Gouverneur. La question ne devait être que rhétorique car l'homme se répondit à lui-même :

- "Le taux de suicide."

Antagorria [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant