18 ○ Convallaria majalis

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Après une seconde de stupéfaction, je me mets à hurler contre la porte, libérant toute ma rage.

- Non mais j'y crois pas ! Comment un rustre pareil peut-il exister ? Jetter une jeune femme dans la neige, au beau milieu de nulle part, et à peine couverte ? Vous devez tellement faire honte à vos ancêtres que Lucy elle même doit se retourner dans sa tombe. Alors ouvrez moi petit saligaud ou vous subirez ma colère !

Je reprends mon souffle, encore légèrement épuisée par ma tirade. J'attends une minute, indécise. M'a-t-il bien entendue ? C'est obligé donc c'est qu'il doit m'ignorer. Alala, le pauvre, personne ne semble l'avoir prévenu, on ne me contrarie jamais. Il veut faire la sourde oreille ? Très bien, alors je vais lui redonner l'ouïe. Je relève mes manches avec détermination et me dirige vers la porte.

J'en profite pour regarder avec fascination la manière dont elle fond dans la nature qui l'entoure. Comme si elle en faisait partie. D'ailleurs je pense que si je n'avais pas été jetée par cette porte, jamais je n'aurais su qu'elle était là. Je serais même sûrement passée devant sans même avoir des doutes.

Mais enfin bref, ce n'est pas le moment. Je reprends donc où j'en étais et lève mon bras. Je continue mon mouvement en sens inverse pour l'abattre avec violence contre la porte. Puis je me mets à hurler. Cependant pas exactement comme je le voulais. Je pensais simplement crier pour venir à bout de lui. Et j'ai crié. Mais pas de rage ou de colère, non, mais de douleur. Je ne comprends toujours pas ce qu'il s'est passé. L'instant d'avant je levais mon bras et quelques secondes après, je me retrouve le bras brisé par cette vitesse phénoménal que je possède toujours.

Du coin de l'oeil, j'aperçois un mouvement,et l'instant d'après je sens l'intensité de ses yeux dorés se fixer sur moi. Mais même si mon but était de le faire réagir cela ne sert plus à rien. La douleur que m'inflige mon bras me fait tout oublier. Je regarde avec horreur le blanc de l'os si vif par rapport au sang si rouge, si sombre. À la vue de la chaire déchirée, mon estomac est pris de convulsions et des taches noires envahissent mon champ de vision. La douleur est si intense que je ne peux m'empêcher de penser que la blessure doit être vivante et qu'elle me ronge petit à petit.

Ça y est, je deviens folle ! Il ne manquait plus que ça pour parfaire mon tableau. Cela dit, c'est rassurant de voir que même dans un terrible moment pareil je reste égal à moi-même. Un nouveau spasme de douleur me fait serrer les dents et intérieurement je me maudis, je suis vraiment incapable de rester sérieuse dans une situation dramatique ? Et on ne peut pas nier que c'en est une, je suis en train de perdre la tête. Et c'est pas faute de le dire, mes yeux débloquent complètement, ils voient des choses qui n'existent pas. Et pour cause, sous mes yeux détraqués ma peau se ressoude, la chair se reconstitue et le sang disparaît.

Et chose incroyable - enfin je crois - la douleur devient si intense - qu'est ce que je disais - que petit à petit elle disparaît.

Je tourne le bras dans un sens puis dans l'autre, agite mes doigts et regarde avec émerveillement la magie du déni. Si seulement ma main pouvait encore bouger comme ça, si seulement mon esprit n'inventait pas tout... Mais soudain, cet esprit que je pensais fou, comprend enfin tout. Ou plutôt j'accepte enfin ce qu'il essaie de me montrer.

Ce n'est pas une illusion.

Je titube sous la stupéfaction. Mais, comment ? C-ce n est p-as possible ! Je regarde ma peau si lisse, sans le moindre détail qui pourrait révéler l'état de mon bras un peu avant. Est-ce que je rêve ? Non, ce n'est pas possible, j'ai vu de mes propres yeux, ma peau se réparer et la douleur était si forte que je ne peux l'avoir imaginée...

Soudain, alors que je nage toujours en plain délire en marchant vers l'arrière comme dans un mécanisme d'auto-defense, je me heurte à quelque chose, sûrement une racine, et tombe en arrière. J'atterris durement sur mes fesses. La neige, tapisant le sol, agit alors sur moi comme un électrochoc, et me ramène à la réalité. Enfin une réalité quelque peu abracadabrante.

Le Murmure de l'Originelle T-1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant