46 • Chacun ses goûts

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Je retire brusquement mon doigt de sa bouche, le cœur battant à mille allures, encore toute chamboulée. Sans parler de la surprise, j'ai été étrangement perturbée par le contact chaud de sa langue autour de mon index. Nous avons déjà échangé des regards brûlants et appréciateurs, mais jusque là ça se limitait à ça.

Il a dû remarquer mon trouble puisqu'il a un sourire un coin bien trop malicieux à mon goût.

- Et, sinon, dis-je en me raclant bruyamment la gorge, tu m'apprendras quelle arme ?

- Celle que tu désires, rit-il doucement en appuyant avec insistance sur le dernier mot.

Je lève les yeux au ciel, mais ni lui ni moi ne sommes dupes. Mon traître de cœur bat tellement fort que même un humain pourrait l'entendre. Et je ne veux même pas me rappeler qu'en tant que métamorphe il est capable de sentir mes émotions. Alors je ne prends même pas la peine de réfléchir avant de répondre.

- Les poignards !

- Soit, dit-il en haussant les épaules de nonchalance.

- Et si tu me parlais plutôt de ce qu'on va faire demain, proposais-je en entament ma salade.

- Tu veux vraiment qu'on en parle à cette heure ci ? demande t-il, excédé.

- Oui, pourquoi attendre ?

- Très bien, râle-t-il. Bon tu sais déjà ce que sont les sources magiques ?

Je hoche la tête, mais il enchaîne par avance, sa question n'en étant pas vraiment une.

- Sache qu'il en existe plus que trois. Étant rare et essentiel à notre peuple, nous les gardons bien à l'abri. Il y a tout un système de surveillance très complexe pour venir jusqu'ici. Ou jusqu'aux autres sources, mais le système est différent pour chacune d'entre elle. Elles sont dans trois environnements différents alors bien-sûr, la protection et les personnes protégeant ne seront pas les mêmes.
Par exemple la nôtre est située en pleine forêt. La protection est donc essentiellement composée de métamorphes. Exclusivement en fait. Le premier cercle, presque aux abords de la forêt, est protégé par les reptiles. Sous terre ils sentent les vibrations. Si une persiste il le signale aux oiseaux qui prennent ensuite le relais pour observer du ciel. Si l'intrus continue son chemin, les oiseaux laissent place aux loups. Jusque là c'était seulement de l'observation, mais à partir de ce moment là, c'est l'offensive. Les loups attaquent dans le but d'effrayer, pas de tuer. Non, tuer c'est mon rôle, dit-il froidement. Si une personne est assez rusée pour dévier les loups ou les battre, c'est moi qui passe à l'attaque.

Son visage est tellement dur, comme ciselé dans le granite, il ne desserre pas la mâchoire un seul instant. J'ai envie de passer mes mains sur ses traits, pour les adoucir sous mon toucher, de lui faire comprendre qu'il est comme il est, qu'il ne peut pas changer sa nature. Il doit tellement avoir honte de ne pas en ressentir justement, qu'il se sent obligé d'aborder un air impassible, voire même impénétrable face aux autres.

- Tu en as tué beaucoup ?

Il se crispe encore plus, comme s'il s'était attendu à cette question.

- Oui, grince-t-il.

- Tu as aimé ça ?

Je ne suis peut-être pas une métamorphe, mais je sens clairement la peine de dégager de lui. La réponse est claire.

- Oui, dit-il en même temps que moi.

- Tu regrettes ? demandais-je finalement.

Il prend encore plus de temps pour me répondre, mais il finit par chuchoter un petit "non" honteux.

Le Murmure de l'Originelle T-1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant