Le Murmure de l'Originelle T-1

55 • Réparer les arbres c'est mon boulot !

En quelques pas je parviens à la rattraper et me placer à ses côtés. Calant mes foulées sur les siennes, pour rester à son niveau, je m'approche d'elle imperceptiblement. Mais suffisamment pour que nos mains se frôlent à chaque balancier de bras.

Elle me jette un coup d'oeil, les sourcils froncés, tandis que je réprime un sourire en coin. J'arbore même mon visage glacial, celui que j'ai en temps normal. Enfin pour tous sauf pour Ingrid. Même dans les débuts j'ai eu du mal à rester nonchalant avec elle. C'est encore une de mes barrières qu'elle a su détruire sans problème. 
Je m'y suis résolu très vite et sauf rare occasion je ne remets jamais ce masque pour elle.

Je ne pensais pas que ça me ferait autant du bien. Je m'étais caché derrière depuis si longtemps ! Même quand j'étais seul, je n'étais jamais moi même. Mais ce temps est désormais révolu !

- Pourquoi tu souris comme ça ? demanda-t-elle suspicieuse.

- Je ne souris pas, répondis-je en rabaissant mes lèvres qui s'étaient relevées toutes seules.

Ouais, elle a peut être trop touché mon masque en fin de compte. Enfin, tant pis, je me débrouillerai avec.

- Je me demande ce qui veulent nous montrer, dit-elle en s'arrêtant.

J'embrasse du regard le sous bois où ils se sont stoppés. Il n'a rien d'extraordinaire à priori. Les arbres centenaires sont puissamment encrés dans le sol, la neige moelle brille sous les quelques rayons de soleil qui réussissent à percer l'épaisseur des branches de pin et fond doucement. 
Bientôt le printemps arrivera, et avec lui, l'odeur de la forêt qui était jusqu'alors masquée par la neige. Puis, petit à petit, les fleurs pousseront, sublimant plaines et forêts par leurs odeurs et couleurs éclatantes.

Ce sera certes, un merveilleux spectacle, mais il ne sera jamais aussi extraordinaire que ce qui se passe sous mes yeux. Parce qu'à cet instant même, les Furies libèrent leur puissance entière devant mes yeux. Parce que leur confiance en Ingrid est assez grande pour qu'il ne se méfie pas de moi. Parce que ce dont ils sont capables est incroyable.

Tandis que le garçonnet parcourt en un clin d'œil un petit périmètre, faisant fondre la fragile poudreuse instantanément, la petite en profite pour attirer à elle l'eau en la gelant instantanément. Elle parcourt aussi vite que son frère l'espace délimité, mais contrairement à lui, ne se limite pas au sol et grimpe avec agilité sur des branches basses.

Si je n'avais pas une bonne vision, je n'aurais rien vu de tout cela. Et encore, c'était franchement accéléré. Ingrid à dû à peine s'en apercevoir. Ce n'est que lorsque les deux se postent au côté d'Ingrid que nous pouvons apercevoir l'étendu de leur art.

Comme une toile d'araignée fait d'eau givré, de fins fils d'eau immobilisés par le froid s'entremêlent et s'entrelacent dans un motif compliqué. Cette étrange toile s'étend sur 3 mètres de large et au moins 10 mètres de long.

- Ouah, souffle Ingrid, époustouflée, c'est super beau.

Je suis aussi choqué qu'elle. Alors, la voix encore coupée, j'hoche la tête sans rien ajouter.

- Vous êtes vraiment incroyables, rit Ingrid en s'accroupissant à leur niveau.

La Furies lui rendent son sourire et poussent un doux petit son. Lui par contre, il me jette un regard... victorieux ? Mais il croit quoi ? Je ne suis pas en compétition avec lui ! "Pff, ridicule" me dis-je en poussant un reniflement indigné.

- Tu n'es pas d'accord ? me demanda-t-elle en levant les sourcils.

Je jette un coup d'oeil au garçon avant de répondre.

- Bien sûr, elle s'est sacrément bien débrouillée, félicitais-je la Furie avant de jeter à mon tour un regard dédaigneux au petit moins que rien.

Il perd aussitôt son sourire. Tiens il semble comprendre ce que je dis le morveux. Il me jette un dernier regard avant de s'avancer vers la toile. Une fois en face, il ne prend même pas une seconde d'hésitation avant de s'engager dedans. Il passe entre les divers trous qu'il reste, plus ou moins petits. Pendant un instant je doute de ma vue lorsque je crois voir les fils givrés bouger. Mais un clignement de mes yeux m'assure que je ne rêve pas. La sœur jumelle manipule son œuvre afin de complexifier la tâche à son frère. Mais il ne semble pas plus gêné que ça.

Une fois arrivé au bout, en un temps record je dois bien l'admettre, il revient vers nous tout aussi vite pour, j'en suis sûr, me narguer. Très bien, ainsi soit-il, je vais lui montrer ce dont je suis capable.

- Je veux le faire ! déclarais-je avec force.

Ingrid qui était occupée à féliciter les deux jumeaux, me regarde avec surprise.

- Pourquoi ?

Il est hors de question de lui avouer que le petit morveux et moi nous nous battons pour elle. Hors de question.

- Pourquoi pas ? répondis-je à la place, un peu sèchement.

Il va voir ce qu'il va voir le petit gamin ! Faites place au lion !