Le Murmure de l'Originelle T-1

53• Ne me dit pas que...

Je marche dans les empreintes qu'ont laissé mes premiers passages dans la neige. Je tends alors devant moi le bandage, tout sourire. Mais il retombe vite en voyant la furie. Enfin devrais-je dire les Furies ! Je marche mécaniquement vers eux, mais tout mon esprit est réellement occupé à l'observer. Sa soeur jumelle ! Toute aussi petite et maigre que lui, son absence totale de muscles ne laisse pas deviner qu'elle doit sûrement être plus forte que Leindel.

À moitié cachée derrière son frère, je ne l'aperçois qu'en partie, mais c'est suffisant pour que je puisse la voir. La "matière", si je puis dire, de son corps est l'exact opposée de celle de son frère. S'il ressemble à de la lave et du feu, elle est faite d'eau et de glace.

Aussi indomptable que l'océan, ses cheveux s'agitent, coulent sur son dos, s'échouent tel des vagues sur la courbure de son épaule. Une chevelure semblable en tout point à de l'eau bleue. Son corps, également fait d'eau, semble cependant bien plus solide, étant même parcouru par des zébrures de glace de temps en temps. 
Elle me paraît aussi douce qu'un lac à peine troublé par une brise, pourtant comme pour son jumeau, ses dents sont un incroyable pense bête.

Légèrement dépourvue, je m'arrête face à eux, tenant bêtement le bandage entre les doigts. Un petit silence s'impose tandis qu'elle en profite pour me scruter. Je reste immobile, en partie pour ne pas l'effrayer, mais surtout parce que, elle, elle m'effraie.

La légère brise venant face à moi m'apporte la fraîcheur de son corps. Mes joues, déjà meurtries par le froid, se mettent à me picoter, preuve de leur mécontentement. Elle m'observe en silence tandis que je frictionne mes mains, elles aussi souffrant du froid.

Indécise quand à la manière d'agir, je me décide de faire comme avec son frère. La laisser venir vers moi. Sauf que cette fois j'essaierai de pas m'endormir. Avec délicatesse, je plie mes jambes pour venir doucement m'assoir au sol. La neige me mort immédiatement la peau, mais cela en vaut bien la peine.

Je pose devant moi le bandage, peut être que ça les décidera. Mais à mon plus grand étonnement, la jeune fille ne tarde pas à poindre le bout de son nez. Elle sort de sa cachette, se plaçant au côté de son frère. Puis, amplifiant encore plus ma surprise, elle se penche légèrement vers lui et commence à lui parler. Tout du moins, à communiquer. Le son qui sort de sa bouche est des plus étranges. À mis chemin entre le roucoulement d'un oiseau et les grognement d'un loup, ils semblent cependant parfaitement se comprendre.

Serait-ce la fameuse langue lunaire ? Celle dont le livre parlait ? Je la pensais plus... Gracieuse ? Sûrement est-ce la prestance que dégage la Déesse Lune qui m'a induite en erreur. Ou bien peut-être est-ce le livre qui fait erreur ?

Mais la question me sort vite de la tête lorsqu'elle s'approche de moi. Elle s'arrête pourtant un peu avant d'arriver devant moi, et se retourne vers son frère comme cherchant un peu de courage. Mais comment peut-elle avoir peur de moi ? Sait-elle combien elle est puissante comparée à moi ? Je ne sais même pas me servir des pouvoirs que je pourrais avoir...

Pourtant elle ne doit pas s'en rendre compte, puisqu'elle attend que son frère lui adresse un geste d'encouragement avant de reprendre sa route vers moi. Une fois face à moi, elle me jette un coup d'oeil méfiant et curieux à la fois. Puis, comme si elle prenait son courage à deux mains, elle lève doucement le bras pour décaler une de mes longues mèches de cheveux. Elle dégage ainsi mon front, laissant apparaître ma marque sur le front. C'est donc cela qu'ils se sont dis. Je me souviens qu'il avait arrêté de se méfier lorsqu'il avait vu mon tatouage. Il semble que cela est le même effet sur elle.

Je grince des dents pour m'empêcher de faire un geste brusque qui pourrait être mal interprété. Pourtant j'ai du mal. Son simple compact avec ma chevelure a suffit pour que celle-ci gèle sur toute sa longueur. Mon crâne, déjà irrité par le froid, fait tout ce qui lui est permis pour s'y dérober.