91. Période de musique

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- De quoi me parlez-vous?

- On va commencer sans attendre, si tu n'y vois pas d'inconvénients.

- Allez-y.

- Donc, te rappelles-tu de ton père?

- Pas vraiment, non.

C'était difficile d'imaginer son visage; je pouvais à peine le voir vaguement dans ma tête après 20 secondes les yeux fermés.

- Pourrais-tu le décrire?

- Il n'était pas souvent à la maison. Il était assez pâle pour un Noir et je ne suis pas sûr si ses yeux étaient bleus ou bruns.

- Ils étaient bruns, confirma M. Ricardo. Maintenant, te rappelles-tu sa mort et les jours qui l'ont précédée.

J'y réfléchis un instant et décidai de lui dire ce que je savais. Je sortirais plus vite de cette façon.

- Je devais avoir 9 ans. C'était la période de musique. Nous jouions de la flûte à bec cette journée-là. (Je fermai les yeux pour visualiser la scène.) La secrétaire m'a demandé à l'interphone. Je flânais dans l'école pour me rendre à son bureau. Quand je suis arrivée au secrétariat, ma mère y était déjà en compagnie de la directrice et de la secrétaire. Elle n'arrêtait pas de pleurer.

J'étais submergée par les émotions. Une boule se formait dans ma gorge.

- Personne ne voulait me parler. La directrice a fini par me dire tout simplement: « Axandria, ton papa est... mort ce matin. » en fixant la boucle sur ma tête. « Il est mort comment? » ai-je demandé. « Il est mort... d'asphyxie. Il ne pouvait plus respirer, c'est ça qui l'a tué. » a répondu ma mère entre deux sanglots.

Je n'avais pas pleuré. Je ne suis même pas allée consoler ma mère. J'ai simplement demandé si je pouvais retourner en classe. Je ne dis rien de la journée. Aux funérailles, je dormais. Je n'étais pas consciente que je ne le verrais plus jamais. Je pensais que c'était un cauchemar ou encore une blague. Que dans les deux cas, tout allait finir et rentrer dans l'ordre. Cela n'arriva jamais. Ma mère sombra en dépression. Je ne parlais jamais. Il n'y avait que mon frère, qui était adolescent à l'époque, qui gardait un semblant de normalité. Seule exception à la règle, il n'était jamais à la maison les dimanches. Un jour, je surpris une dispute avec ma mère, qui se plaignait de ces sorties. Pour mettre fin à la chicane, Roy proposa de nous amener avec lui, moi et ma mère. C'est ainsi que mon frère et ma mère se convertirent et sortirent du trou noir dans lequel le décès de mon père nous avait plongés.

- Le dossier qui est devant toi, déclara le père de Gina pour briser le silence, est sur ton père. Si tu veux savoir qui il était vraiment et pourquoi il est mort, tu n'as qu'à l'ouvrir.

J'obtempérai après un regard hésitant. J'étalai les photos, les fiches et les coupures de journaux. Un même nom, un même visage revenait sur toute cette paperasse : Christian Monsigny. Les cheveux courts et frisés, les yeux bruns, les fossettes formées par son sourire... Mon grand frère était son portrait tout craché.

- Qu'est-ce que...

Une coupure de journal dépassait de la pile, intitulée : « Suicide dans un quartier résidentiel ».

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