11 mars. Dernier jour de la vie d'Axandria Monsigny. Dernier jour de ma vie.
Les charpentiers ont eu besoin de toute la journée d'hier pour construire ce sur quoi j'allais me faire pendre. Dépense bien inutile mais le père de Gina se garda bien de le faire paraître. Le Canada et les États-Unis ont unanimement décidé qu'à partir du mois prochain, toutes les exécutions se résumeront à décapiter les condamnés pour des questions économiques. De quoi donner froid dans le dos.
Gina a passé toutes ses journées avec moi depuis la mort de Derek, et elle dormait chaque soir dans ma cellule. Quand je lui ai demandé si elle connaissait le jour de son exécution, elle a répondu :
- Ce n'est pas de sitôt. Mon père a prévu vous exécuter tous sans exception avant de s'occuper de moi. Probablement pour me donner du temps pour renier ma foi.
- Ou pour convertir plus de personnes, ai-je glissé malicieusement.
- Des gendarmes, tu veux dire, a corrigé Gina. Il y a trop de détenus, ici, je suis tombé sur un document dans le bureau de mon père prévoyant en transférer certains en Asie.
C'est elle qui me prépare présentement pour ma pendaison. Elle a couru tous les vestiaires pour me trouver une combinaison orange à ma taille et propre. Mon amie a même pris le temps de me mettre du maquillage – « pour avoir l'air aussi fraîche à l'extérieur que tu l'aies à l'intérieur », m'a-t-elle dit pour expliquer son geste (mais je crois que c'est surtout pour lui rappeler cette époque révolue où nous passions notre temps à parler et à nous maquiller ensemble). Présentement, elle me brosse soigneusement les cheveux pour les remonter en queue de cheval. Il lui a fallu quinze minutes pour d'abord les démêler en silence, ce qui m'a donné le loisir de repenser à ma vie depuis le jour où mon meilleur ami et ma famille ont disparu, il y a maintenant plus d'un an et demi. Un détail m'échappe pourtant.
- Gina, comment se fait-il que je n'ai jamais croisé mon père biologique?
Je l'entends déposer la brosse.
- Moi-même je ne l'ai jamais vu, mais j'ai entendu mon père dire à Padopoulos qu'il n'avait pas tenu à te rencontrer. Il a déménagé à trois heures d'ici.
- Je crois que c'est peut-être mieux ainsi.
Gina coupe maintenant minutieusement mes pointes.
- Et Jacob, sais-tu quelque chose sur son compte? je demande à nouveau.
- Oui, il est installé et s'est fait des amis dans le centre. Il est de ceux qui se font transférer.
- Ça ira?
- Oui.
Elle attache mes cheveux dans un élastique.
- Et voilà le travail, dit Gina en me tendant un miroir.
Je le prends, mais je regarde mon amie plutôt que ma coiffure.
- Tu ne m'as jamais rendu ce manteau.
- Hein?
- Tu te rappelles, à l'école, j'ai déposé mon manteau sur ton épaule et tu es partie à ton cours sans me le redonner!
Nous nous mettons à rire, mais on nous interrompt rapidement.
- Il faut y aller, crie Padopoulos de l'autre côté de la grille.
- On arrive, répond Gina sur le même ton.
Je porte la main à mon poignet. La montre est toujours là. Je la détache et la remet à mon amie.
- Je suis désolée de ne pas te l'avoir remise plus tôt.
Gina prend une grande respiration.
- Je ne crois pas être en mesure de la porter sans penser à vous deux et au temps qu'il me reste à faire ici.
Je lui attache au poignet.
- Fais-le s'il te plaît.
Gina hoche la tête en reniflant. Elle me prend la main et m'accompagne jusqu'à l'extérieur. Là, un gendarme l'entraîna parmi la foule tandis que Padopoulos me reconduit jusqu'au podium de bois. Il m'attache les mains derrière le dos et me lie les pieds. Il me tire jusqu'à l'avant de l'estrade, où une corde m'attend. Il me la passe autour du cou, mais ne me la serre pas tout de suite.
- Il faut attendre la fin du discours, m'explique-t-il.
M. Ricardo s'avance et commence un discours semblable à celui prononcé lors de la lapidation de Derek. Il finit en disant :
- Voyez-le en face : votre cause est dans la tombe. Vous allez tous mourir les uns après les autres, à moins que vous n'abandonniez vos croyances illégales. Pour elle, il est trop tard, termine-t-il en se retournant vers moi.
Padopoulos serre le nœud à ma gorge et m'explique rapidement :
- Sous tes pieds, il y a une trappe. Un autre gendarme va actionner un mécanisme qui va l'ouvrir. Tu n'as pas peur?
Je lui souris.
- Vous auriez peur d'aller au paradis, vous?
Il est reste bras ballants.
Je tourne la tête vers la foule massée devant l'estrade. J'y vois Gina, les yeux rouges, lever ses deux mains pour les coller en forme de cœur.
- Tiens bon, je lui crie, on t'attendra là-haut!
Ses lèvres esquissent un sourire et elle porte la main à ses yeux pour les essuyer. Mon regard continue de parcourir les visages si souvent aperçus. J'ai failli ne pas reconnaître Jacob sans son uniforme de gendarme. D'un mouvement de tête, je lui montre Gina non loin de lui. Il lève le pouce en signe de remerciement et se dirige vers elle. Je me détourne d'eux pour croiser le regard d'un homme que je n'ai jamais vu. Grand et costaud, il a la peau noire, les cheveux bruns et les yeux bleus. Je devine bien qu'il s'agit de mon père biologique. Celui-ci a d'ailleurs détourné les yeux quand nos regards se sont croisés.
- Jésus t'aime, je lui crie simplement.
Il sait que je lui parle. Mes paroles ont l'effet d'une douche froide et il fend la foule pour s'en aller. Je ne lui en tiens pas rigueur. Je l'aime quand même, moi aussi.
M. Ricardo se dirige vers moi, une cagoule dans les mains.
- Je vais t'enfiler ça sur la tête, me dit-il, pour qu'on ne voie pas ton visage et que tu ne nous voies pas. Où donc est l'agent Padopoulos?
Il semble être parti sans permission. C'est sans importance de toute manière.
- Tu veux confesser tes regrets avant d'aller voir si tes fables existent?
Je souris. Il se croit vraiment drôle.
- Mon seul regret, c'est de ne pas être parti avec ma famille.
Pour réponse, Néron Ricardo m'enfonce brusquement le sac de toile. Le dernier visage que je vois est rouge de colère.
Maintenant, tout est noir. J'attends, étrangement excitée, toute fébrile. Ricardo parle encore, mais je n'écoute pas. Un nouveau couplet me vient à l'esprit : « La mort prend en joue ma tempe, ton amour m'éclaire comme une lampe, que nos vies servent aux nôtres de hampe, et notre sacrifice d'estampe... » J'entends la manivelle s'actionner tout près. Le sol se dérobe sous mes pieds. Adieu, monde cruel...
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L'Enlèvement
Spirituální**Aussi disponible sur Amazon** Axandria Monsigny, 16 ans, voit sa famille et son meilleur ami disparaître, demeurant seule sur Terre. Elle vit donc l'Apocalypse avec les nouveaux amis qu'elle se fait en cours de route et explore les croyances que l...