Chapitre 1 - Elise

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Le vent était déchaîné.

Bruyant, assourdissant.

Insupportable.

Il forçait mes oreilles comme un tsunami ravage une plage, dévastait gentiment le peu d'audition qui devait me rester. Perdue, assommée de douleur, j'en étais réduite à me raccrocher à ce qui pouvait encore ressembler à ma raison. Je n'arrivais plus à penser. Chaque recoin de mon esprit était envahi par ce hurlement des enfers, qui aurait rendu fou n'importe qui.

« Par pitié, que ça cesse... »

Ma tête se fendait. Un réflexe incompréhensible me forçait à avaler ma salive à répétition. Mais c'était inutile, j'avais une supernova lancinante à l'intérieur des oreilles, que rien ne pouvait calmer.

Finalement, savoir que cette chute se finirait mal n'était pas une si mauvaise chose.

Mais quand ? Combien de temps allais-je encore devoir supporter ce calvaire ? J'aurais pu laisser l'inconscience me prendre dans ses bras, elle n'attendait que ça. Mais je ne m'y résolvais pas. Je refusais de céder. C'était ridicule... Je pouvais m'épargner cette douleur, surtout celle de mon cœur.

Oui, sans raison, j'étais vide. Vide de toute joie, de tout sentiment. Plus vide, même, que tout cet espace  froid qui m'entourait. Je n'étais plus moi. J'étais devenue un gouffre humain, un amas de néant, qui souffrait en attendant l'inévitable.

Au milieu de l'agonie, je sentis mes paupières s'entrouvrir. Des larmes giclèrent immédiatement hors de mes cils. Très bien, pensai-je à moitié. En plus de m'assourdir, le vent me rendait aveugle. 

Le temps de refermer les yeux, je discernai rapidement ces ombres au-dessus de moi. Ces lourdes ombres que je connaissais — je savais que je les connaissais. Rugueuses, elles appuyaient sur mon visage, mes bras, mes jambes, et m'entraînaient plus bas, toujours plus bas.

Il fallait que je voie le sol.

Cette idée soudaine annihila presque le mugissement du vent. Je devais me retourner. Pour voir la mort arriver, l'accueillir sans incertitude, et me dire qu'une dernière fois, j'aurais été digne.

Ma joue glacée glissa difficilement le long des ombres rêches. De profil, j'ouvris un œil.

Juste à temps pour voir un champ de terre. 

Un cri suraigu fusa de ma bouche.


BOUM

Mon dos venait de heurter le parquet de la chambre. 

A peine réveillée, les vieux draps qui couvraient mes jambes valsèrent à l'autre bout de la pièce. Je bondis sur mes pieds, haletante.

Le plafond. Le sol. Les murs.

Pas de vent. Pas de froid. Pas de champs.

J'étais chez moi.

J'étais chez moi...

Les planches craquèrent quand je me laissai tomber assise. J'essuyai mon front nerveusement. Nom d'une fraise, on aurait dit qu'il venait de se prendre une averse.

Mon cœur ne se calmait pas. Chaque centimètre carré de mon corps était en train de trembler. Distraitement, mon regard se tourna vers les draps, misérablement effondrés vers la fenêtre. Je savais qu'ils étaient tout aussi inoffensifs que les autres fois. Que leur poids n'allait toujours pas me faire traverser le plancher. Mais mes mains restaient moites. J'avais toujours cette impression épuisante d'avoir couru toute la longueur d'un champ de malheur.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant