Chapitre 10 - Vendomeland (partie II)

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Si on m'avait dit que ça m'arriverait un jour, je ne l'aurais pas cru. Un soldat était au garde à vous, face à moi, pauvre terrienne désabusée et ébouriffée.

— Sa Majesté voudrait s'entretenir avec vous au plus vite, annonça le militaire. Mes hommes et moi-même vous proposons notre escorte.

Je sentis la pression retomber... pour remonter en flèche juste après.

« D'accord... Qu'est-ce que je fais ? »

Je me retrouvais sans prévenir face au plus grand dilemme de mon existence. Devais-je dire à cet inconnu, probablement armé, que je comprenais à peine que « Sa Majesté » n'était pas un prénom ? Devais-je tout simplement lui lancer à la figure que j'étais comme un indien dans la ville, qui ne connaissait rien, et découvrait tout ? Que rien que d'imaginer que tout ces gens, autour de moi, avaient des ailes planquées quelque part, je me croyais en plein rêve, et voulait me réveiller ?

« ... Non. »

La réponse fut plus claire que je ne l'aurais cru.

Non. Non, surtout pas. Il ne fallait surtout pas que je le dise. J'étais livrée à moi-même, et amnésique rimait avec vulnérable. Ces hommes avaient l'air de me considérer hautement. Je devais gagner du temps. Paraître à l'aise. Même si rien ne m'y prédisposait...

Mais une fois ma décision prise, je constatai, avec panique, qu'il s'était écoulé bien trop de temps pour que j'aie l'air naturelle.

— A-Avec plaisir, répondis-je précipitamment.

— C'est entendu, opina l'autre sans sembler remarquer quoi que ce soit. Mais si vous me permettez, peut-être devriez-vous revêtir l'uniforme, avant de vous présenter au palais.

Je baissai aussitôt les yeux sur ma tenue, que j'avais à moitié oubliée. Toujours pieds nus, je portais une vieille robe de nuit de Jeanne au motif floral, qui m'arrivait au-dessus des genoux.  Mes joues chauffèrent malgré moi.

— Evidemment, mon... heu, monsieur. Il me faudrait un uniforme.

Je vis avec horreur son sourcil imperceptiblement se lever.

— Très bien. Ne perdons pas plus de temps, si vous le voulez bien.

Pinçant les lèvres, je m'abstins de tout commentaire, et les suivit, le plus fièrement possible, mais la boule au ventre. Dans mon dos, je sentis enfin des visages autour des poulies se tourner. Je n'eus pas le courage de compter les curieux.

Notre petit groupe s'avança dans un quartier tout sauf habituel. Les habitations avaient l'air construites avec le contenu d'une déchetterie : des plaques de métaux aux couleurs variantes, du contre-plaqué, du bois brut... le tout entrecoupé d'une masse nuageuse à l'allure de coton molletonneux, qui donnait sournoisement envie de s'arrêter passer la main dessus. Au-dessus de nos têtes, les maisons s'amoncelaient les unes au-dessus des autres, le tout protégé d'un épais voile nuageux, qui diffusait une lumière tamisée. Les fenêtres étaient rares, les personnes que nous croisions — très nombreuses — portaient des vêtements dépareillés au style d'une autre époque. Certains habitants étaient en vol pour monter ou descendre le long des maisons. Avec des ailes. De grandes, belles et magnifiques ailes. Toujours dans l'optique de me faire passer pour une habituée des lieux, j'essayais de ne pas trop m'attarder dessus, mais, même si elles étaient pour moi moins majestueuses que celles de Galliem, elles avaient toujours cette fascinante particularité d'exister, ce qui aurait, en temps normal, nécessité pour moi de héler ces gens, pour que je les observe un moment.

J'agissais comme si tout cela me laissait de marbre. Les personnes autour, cependant, avaient bien remarqué ma venue, et le montraient davantage que les types de la plateforme. De plus en plus de regards croisaient le mien, des murmures résonnaient autour de nous. Aucun doute, j'étais devenue la bête de foire du quartier.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant