La bataille faisait rage.
Sur la Prairie battue par les vents, des centaines de silhouettes noires couraient les unes contre les autres. Les soldats se rattrapaient, frappaient, s'envolaient, tombaient, ne se relevaient pas. Le ciel toujours bleu avait viré au gris orage. Le souffle violent frappait les visages, sifflait aux oreilles, accompagnée de ces croassements lugubres d'oiseaux invisibles. Les sons rauques filaient dans la brume, plus effrayants encore que les cris des combats qui résonnaient au loin, contre les murs du château. Je reconnaissais l'endroit où j'étais. Sur ma gauche, le noble bâtiment royal était plus pris d'assaut qu'une fleur dans une ruche. Sur ma droite, protégé de barres dorées à un mètre d'intervalle, le vide, caché derrière les nuages.
J'étais seule sur le chemin de ronde.
Cette immensité grise de nuages, qui s'ouvrait si près de moi, aurait suffi à me décourager d'être ici. Mais, à ce moment précis, je n'en avais pas peur, pas plus que de l'herbe à son opposé. Les deux grandes ailes, que je sentais déployées dans mon dos, m'offraient ce luxe. Et il n'était pas négligeable, vu la situation.
Consciencieusement, je plaçai mon bâton en position défensive.
Tous mes sens étaient en alerte.
J'avais suivis des personnes jusqu'ici, je le savais. Ils étaient forcément quelque part. Contre ma cuisse, je sentais plus que jamais le froid de la lame de mon couteau. A tout moment, il pouvait devenir mon plus fidèle allié.
Au diable le droit à la vie. J'avais aussi droit à la mienne.
J'avançai un pas après l'autre, toujours en surveillant l'évolution du champ de bataille du coin de l'œil. La galerie avait l'air déserte, pourtant, je savais qu'ils étaient là. Mieux encore, je sentais qu'ils m'observaient, d'une façon ou d'une autre.
— Montrez-vous, m'entendis-je marmonner de ma voix d'adolescente.
Les seuls bruits qui me répondirent furent des hurlements d'agonie. L'image d'une personne traversa mon esprit ; je ne sus pas l'identifier. Mais je l'oubliai vite. Pas question de me déconcentrer. Mon cœur battait suffisamment comme ça.
Soudain, devant moi, je crus voir quelque chose bouger vers le plafond de la galerie. Immédiatement, mes pieds se lancèrent en avant sur les dalles.
Quelques mètres plus loin, un effondrement avait causé une brèche dans le chemin de ronde. Elle l'ouvrait sur les tourbillons nuageux en bas, sur le ciel sombre, en haut. Ils étaient juste au-dessus de moi. Aucun doute.
« Ils se cachent... Ils me font perdre mon temps. »
Pour les rejoindre, il me suffisait de voler à travers l'ouverture. La mer de nuage vaporeuse s'ouvrirait un instant sous mes pieds. Mais qu'importe. La question d'un risque ne se posa même pas.
L'âme courageuse, je m'élançai.
— NOOOOOON !
Je hurlai de toutes mes forces.
Non, ne le fais pas. Ne t'envole pas. Reste là. C'est un piège.
Mais je l'aperçus. Trop tard.
Il tomba. Le filet tomba. Quadrillant le ciel devant moi, lancé par plusieurs paires de solides mains adultes.
Mon cœur se stoppa au contact des cordes. Une maille épaisse appuya sur ma tête, m'étourdit, m'arrêta dans mon vol. Puis le poids devint plus lourd, me fit reculer. Je n'atteignis jamais le haut de la galerie. Avec horreur, je commençai à me sentir attirée loin du nuage. Vers le bas.
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L'Angevert - Partie I
ParanormalAdolescente amnésique, Élise pensait que seuls les parachutistes tombaient du ciel... jusqu'à ce qu'un jeune homme s'écrase dans son potager. Le nouveau venu est différent, comme elle. Oreilles pointues, armure de cuir et grandes ailes blanches, il...