Chapitre 49 - Sacrilège

275 44 30
                                    


Armayos déblatérait lointainement le déroulement du protocole. Fen tapotait sa coudière avec impatience. Les futurs soldats de mon groupe dansaient d'un pied sur l'autre, lèvres plus ou moins pincées, et les aspirants-caporaux gloussaient, agglutinés autour de Galliem. Pour ma part, droite face aux immenses portes closes du château, je n'arrivais pas à situer mon état d'esprit. Seule chose certaine : un coin de ma tête commençait sérieusement à regretter ma tanière Terremedienne.

Mon frère semblait beaucoup plus détendu que moi, bien que tout aussi réveillé. J'étais plutôt contente de prendre du « grade » en même temps que lui. Mais je n'aurais pas dit non à une petite conversation. Un bonjour, au minimum, ou une explication d'où il avait passé la nuit, même si j'avais ma petite idée. Galliem avait l'air parti dans les nuages. Enfin, encore plus que d'habitude.

Feignant un grattement de gorge, je baillai dans ma main. Mon uniforme sale était beaucoup plus frais que moi. Ce matin, j'avais essayé de l'arranger, pour ne pas paraître trop misérable. Cacher les tâches de sang dans les plis, dépoussiérer le plastron, défroisser la chemise... Ces quelques tentatives étaient davantage pour avoir bonne conscience, plutôt que par ambition de plaire à la Reine... Oui, lui plaire, j'avais comme cette impression de le faire malgré moi...

Mes mains se rangèrent vite le long de mon torse. Les portes s'ouvraient et ma Garde préférée arrivait. Concentrée, j'avalai, expirai, me répétai une dernière fois ces phrases assommantes que j'avais tenté de rentrer dans ma tête. Les mots se mélangeaient. De force, j'adoptai mon air serein habituel, et suivis le mouvement, vers le haut des marches.

Les Gardes nous faisaient rentrer au compte-goutte. Derrière leurs têtes, j'arrivai à discerner le scintillement des sièges dorés. Ils étaient vides ; pour le moment. « Peut-être qu'elle sera là aussi... » Certes, ce serait curieux. Mais vu les mots du serment, ce n'était pas improbable. En tout cas, je voulais croire que l'Angevert nous observerait, d'une façon ou d'une autre...

La main d'un Garde surgit brutalement face à moi, coupant court à mes pensées.

— Soldat, m'apostropha-t-il. Vous, vous n'entrez pas.

Un pauvre petit mètre me séparait du hall. Dubitative, je dévisageai le heaume.

— Pardon, je suis convoquée...

— Et moi je vous dis que ce ne sera pas possible, résonna la voix dans l'armure. Vous figurez sur la liste noire du château.

Le cœur déjà battant, je sentis mes yeux s'agrandir.

Liste noire ? Comment ça, liste noire ?

— Qu'ai-je donc fait pour qu'on m'accorde ce privilège ? ironisai-je, moins tranquille que ce que je montrais.

— Pas de discussion. Obtempérez et reculez, les autres attendent.

D'un rapide coup d'œil, je vis effectivement Troser, Djam et Klonor, qui, bien sûr, m'observait déjà avec un air de commère. En silence, je foudroyai le heaume du regard, et fis un pas en arrière.

L'entrée de mes collègues reprit. Faussement patiente, j'attendis. Il fallait mettre tout ça au clair. Mais seuls, pas la peine de faire parler de moi plus que nécessaire. Klonor entra enfin, non sans me jeter un drôle de regard. Je lui renvoyai ma placidité à la figure. La Garde allait fermer la marche, je m'interposai avant que le premier ne passe les portes.

— Si mon nom est inscrit sur cette liste, c'est une erreur, affirmai-je de but en blanc. Certes, il y a bien cette – ces fois où j'ai... rendu visite à l'Angevert. Mais nous nous connaissons, elle et moi. Elle pourra vous le dire.

« Enfin, si elle ne joue pas encore à la muette » me dis-je. Mais la Garde n'eut pas l'air jouasse.

— Soldat, une interdiction est une interdiction, rétorqua froidement le premier. Attendez sur le parvis, dans le calme. Exécution.

« Dans le calme ? »

Il se fichait de moi.

La pression de la matinée se combina à celle ne de pas pouvoir entrer. C'en fut trop. Les sangles de mon plastron volèrent entre mes doigts. Une seconde plus tard, ma mince armure s'aplatit brutalement sur les pieds du Garde.

— Je m'appelle Lyruan Walkaerys, articulai-je. Vous connaissez ce nom mieux que moi. Alors, ouvrez grand vos oreilles. Je suis convoquée pour prêter mon serment militaire. La cérémonie va commencer. Laissez-moi rentrer, tout de suite !

Il y eut bien un changement d'attitude de la part des soldats. Mais pas totalement celle à laquelle je m'attendais.

— Mademoiselle Walkaerys, commença le Garde avec à peine moins d'autoritarisme. Vous me voyez confus. Mais c'est impossible. Toutes nos excuses.

Je n'eus plus mon mot à dire. Bafouillant des arguments sans début ni fin, je ne pus qu'observer, impuissante, les portes se refermer sur une assemblée intriguée, et la promotion que j'attendais.


En fait, je n'aurais pas dû apprendre ce serment. J'aurais dû dormir. Maintenant, j'étais non seulement ridicule, mais exténuée.

Les regards de la Garde brûlaient mon dos presque autant que le soleil. Je savais pertinemment qu'ils voulaient que je parte des marches de l'entrée. Mais je savais aussi que, sans mon uniforme, je redevenais l'intouchable fille du Général Walkaerys. Mon plastron en évidence à côté de moi, je restais donc à ma place, et je resterais jusqu'à... Jusqu'à quoi, d'ailleurs ?

Un bâillement m'échappa. Après tout, pourquoi m'entêtai-je ? Tant que mon nom serait sur cette liste, je ne rentrerais jamais. Je ne prêterais jamais mon serment et je ne deviendrais jamais soldat. Peut-être était-ce simplement pour embêter la Garde que je me refusais de bouger, quand bien même je cuisais sur place et était éblouie par le blanc du sol.

A part mes amis en armure, je ne savais pas si on m'observait. Depuis la caserne principale, en face, par exemple. Je n'arrivais à voir personne. Tant mieux, quelque part. J'hésitais entre me sentir fière de tenir tête à la Garde, ou honteuse de mon attitude.

Mais si vraiment ça m'importait, je pourrais y penser plus tard. Quelqu'un courait vers moi. 

Avec la distance, impossible de deviner si je le connaissais. Je déduisis seulement que c'était un soldat, jamais un riverain de la prairie ne se hâterait sous le soleil matinal. La silhouette se rapprochait. Un brun, membres courts, maigre, peut-être plus petit que moi...

— Oh non, pas ça...

Migonem. C'était Migonem. Avec le stress de tout à l'heure, je n'avais même pas remarqué son absence.

Le caporal devait une nouvelle fois faire honneur à sa ponctualité aléatoire. Quelle horreur. Qu'allait-il me dire, en arrivant ? Sur quoi allait-il me railler ? Ma tenue ? Ma solitude ? Walkaerys ou pas, il n'était pas du genre à retenir ses remarques...

« Ne viens pas ! » me morfondis-je sur mon escalier.

Cet homme faisait sans doute partie de mes pires cauchemars. Avec l'Asperge, j'avais mon top deux.

« Mon ange... »

Je fis un bond monumental.

— Qui est là ? me retournai-je en cherchant mon couteau absent.


L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant