Chapitre 43 - Invulnérable

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Je crois que si j'avais eu le temps de le faire, j'aurais hurlé de surprise.

Le château disparut. Une lumière éblouissante envahit mon champ de vision. Je sentis un grand choc, mon buste partir en arrière. 

Et ce fut le noir.


Je ne voyais plus rien. Je ne sentais plus rien. La douleur avait disparu. Les lancements de ma main blessée, de la coupure sur mon flanc, des griffures sur ma peau, tout s'était envolé, comme si rien ne s'était jamais passé. Mon esprit était plus vide que le vide que j'avais eu sous mes pieds. Plus de questions encombrantes sur Vendomeland, Utopie, l'Angevert, ou sur ma propre existence. Les interrogations avaient laissé place au calme, au silence plat. Un silence tel, que même ce vent dangereux, qui sifflait dans mes oreilles, je ne l'entendais pas. Je me sentais sereine. Même si je n'aurais su expliquer pourquoi. Sereine pour longtemps. Sereine à jamais.

Et puis, il y eut ça.

Un battement de cœur.

De mon cœur.

Qui déploya soudain une force inimaginable dans chaque cellule de mon corps. Qui propulsa en moi une puissance immense, transcenda mes muscles jusqu'au plus insignifiant, déborda hors de moi, de mon inconscient, dans un tournoiement de force vive.

Mes yeux se rouvrirent. Le gazon avait remplacé le ciel ; je chutais vers le sol, la tête la première. Mais quelque chose m'empêchait de paniquer. C'était cette lumière, aussi foudroyante que le reste, qui s'allumait dans mon esprit.

Je savais exactement quoi faire.

Il ne me fallut pas plus d'une seconde. Les papillonnements derrière mes omoplates. Le château. Les ennemis. La prise au vent. En quelques gestes, mes jambes basculèrent vers le sol. Je tendis les bras ; plus de traces des plumes à ma gauche. L'aile était rentrée sous le choc. Qu'à cela ne tienne. Quelques minutes plus tôt, j'aurais perdu tout espoir, mais à cet instant, je le sentais, je souriais. De victoire. Elles attendaient que je les appelle. Fidèles, instinctives, elles s'émancipèrent souplement, à l'instant même où j'en formulai la demande.

A quelques mètres du sol, je déployai mes deux ailes.

Je l'avouerais peut-être, cette sensation du duvet frottant sur mes bras, elle me fit quelque chose. Mais malgré l'euphorie qui tapait dans mon cœur, je voulais rester concentrée. La courbure des ailes resta suffisamment légère pour ralentir ma chute au minimum. Je voulais atterrir au plus vite. Atterrir. Je me répétais ce mot en y croyant à moitié.

Mes pieds touchèrent l'herbe, mes ailes disparurent. Sans perdre un instant de plus à sourire, j'avalais la distance qui me séparait de ma cible en courant. Je l'avais repéré de là-haut. Un Utopien – un des rares – allongé au sol, sans bouger.

« Vérifier le ciel. »

La nuée de plumes noires était toujours là, au-dessus du château. Mais quelque chose aurait pu choquer en l'observant. Les ailes ne battaient plus. Le nuage d'envahisseurs était figé, parcouru de filaments brillant d'une lueur vert translucide. A nouveau, mes lèvres s'étirèrent.

J'étais parvenue au corps du masqué. Assommé, tué, je m'en moquais. Mes yeux se fixèrent sur ce que je cherchais : un fourreau. D'un geste ferme, je tirai l'épée rouillée de sa poche de cuir, puis continuai ma course, droit vers le château dont le vent m'avait éloignée.

Nos envahisseurs étaient piégés. En me rapprochant, je vis leurs ailes continuer de battre l'air au ralenti. Les autres Vendomediens se rassemblaient comme moi sous cette armée, toujours en surnombre, pas tout à fait immobile, mais parfaitement vulnérable. Je m'élançai vers eux la première.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant