Une énorme décharge me foudroya le dos. Comme un pacemaker qui relancerait un rythme cardiaque. Un flux d'énergie se déversa depuis la main du Sagevert, vague de tiédeur apaisante dans mon stress refoulé.
Mais cela ne dura tout au plus qu'un dixième de seconde.
Mon angoisse m'avait rendue alerte. Trop alerte. Je vécus cet instant avec une impression de ralenti. L'instant où les doigts crépitants du Sagevert frôlèrent ma peau, dégagèrent cette chaleur, provoquèrent ce semblant d'explosion le long de mes cicatrices. L'instant, où je me mis à ressentir quelque chose. Comme si ça avait toujours été là. Une sorte de bras dans mon dos. Grand, lourd. Horriblement douloureux.
Tout bascula autour de moi. Ce bras libéra un éclair. Sans prévenir, brutalement. Sa force lancinante me frappa dans le dos. Dans les épaules. Dans la tête. Mes yeux se fermèrent ; ma bouche s'ouvrit. Le premier hurlement que je lâchai résonna longtemps dans la tour.
J'aurais voulu comprendre ce qui me tombait dessus. Mais je n'en avais pas le loisir. Le haut de mon dos brûlait. La douleur ne s'arrêtait pas. Elle me lançait par intermittences, dans des spasmes glacials, tels des pieux acérés qui transperçaient mes muscles, du bout du bras au bas du bassin.
Des mains se saisirent de la mienne. Lointainement, par-delà la douleur, je sentis qu'on m'écartait difficilement les doigts. Puis ma paume se posa sur quelque chose. Peu importe ce que c'était, je me mis à le serrer. Fort. Étrangement, je supportai mieux la souffrance. Je ne lâchai pas. Ce stratagème faisait revenir ma lucidité au galop.
« Ly !... Ly ! »
« Galliem ? »
J'entrouvris les yeux. J'eus à peine le temps de voir un Galliem toutes ailes dehors de l'autre côté de la fenêtre, paniqué, essayer de forcer l'entrée. Le Sagevert la referma avant qu'il n'y arrive.
— On n'a pas besoin de vous, Walkaerys ! l'entendis-je bougonner en tirant les rideaux.
Il se reprécipita dans mon dos. Je ne criais plus. La pièce redevenait nette. C'était le bras de Fen sur lequel ma main s'était refermée. Pour la première fois depuis que je le connaissais, il avait l'air réellement inquiet. Troser, derrière lui, me regardait fort agréablement comme si j'étais sur le point de claquer.
Je serrai violemment les dents en levant la tête vers le plafond. Un coup de chaud me donnait le vertige. Les spasmes étaient toujours là.
— C'est... horrible, articulai-je.
— Je vous crois, entendis-je répondre le Sagevert.
J'inspirai, puis soufflai, fébrile.
— Est-ce que... ça a m-marché ?
— A moitié...
Au prix de grosses gouttes de sueur, je me forçai à paraître calme.
— C'est-à-dire... ?
On n'était jamais mieux servi que par soi-même. Avec mille précautions, je me retournai, pour admirer la récompense de mon dur labeur.
Une aile. J'avais une aile. Gisant longuement sur l'estrade derrière moi, les plumes ébouriffées, abîmées, grisâtres. Le Sagevert était affairé à diffuser de la lumière verte sur le duvet amoché. Il remarqua ma désillusion.
— C'est un début, mademoiselle Walkaerys, promit-il. Nous allons récupérer l'autre, si elle est toujours là.
— Non, non, fis-je immédiatement en comprimant le bras de Fen. Je ne veux pas de l'autre.
— Ne vous inquiétez pas, sourit-il, rassurant. Nous nous y prendrons autrement la prochaine fois. Je ne me doutais pas que la tâche serait aussi... complexe.
Il continua à trafiquer avec sa magie vert luisant. Quant à moi, je respirai enfin. La douleur s'apaisait graduellement. Cette énergie, qui passait dans mon corps, me réchauffait, me calmait, me redonnait des forces, plus que toute autre chose.
En soupirant, je fermai les yeux. Une larme s'échappa sur ma joue, je l'essuyai sèchement d'un revers de main.
Galliem, en civil, trépignait devant la porte. Un Garde Royal était apparu également, sans doute pour ne pas qu'il entre sans y avoir été invité.
— Comment ça va ? s'exclama-t-il dès qu'il m'aperçut.
Je levai une main absente dans sa direction. Fen et Troser portaient mon aile, toujours terne, bien que lavée et brossée. Le Sagevert l'avait entourée de larges bandages en tissu, bien resserrés, avant de devoir étrangement retourner comater. Je n'avais pas demandé d'explication. Je gardais mes questions pour ce moment, où je quitterais enfin cette pièce absurde.
Soit, dès à présent.
— Qu'est-ce qu'il y avait ? demanda encore Galliem. C'est grave ? Tu vas guérir ?
— Les deux ailes se sont cassées, avant d'avoir été forcées à rentrer quand Lyruan a perdu conscience, expliqua Fen pour moi. Il lui faudra attendre avant de pouvoir les utiliser normalement.
Ça sembla soulager Galliem. Mais ça ne me détendait pas moi.
Je me fichais de mes ailes. Pire, je voulais les oublier. Une part de mon esprit voulait effacer tout ce qui venait de se passer dans cette tour.
En reprenant la route de la caserne, les garçons se mirent à discuter. « Vous êtes son frère ? », « Vous êtes la bleu... les premières recrues ? » Sans rien dire, j'avançai devant, concentrée sur la caserne pour me contrôler.
J'avais l'impression de devenir folle.
Personne, personne ne faisait de commentaire sur ce qui venait de se passer. Mais je n'avais pas rêvé. Une magie verte, manipulée par un vieux-jeune, venait de me faire pousser une aile cassée dans le dos.
Une nom de nom de magie verte.
Galliem se tourna vers moi. Peut-être pour me demander mon avis, me poser une question, aucune idée, je parlai avant qu'il ne le fasse.
— EST-CE QUE QUELQU'UN PEUT M'EXPLIQUER CE QU'EST L'ANGEVERT ? leur jetai-je dans un mélange de colère et d'angoisse.
Mes accompagnateurs s'arrêtèrent. Ils me regardèrent tous les trois comme si j'avais pété un plomb — ce que j'avais sûrement fait.
— Sans rien omettre ? m'empressai-je d'ajouter.
Cette énergie, cette aile qui était sortie de nulle part, ça m'avait mis la puce à l'oreille. Ou plutôt, l'éléphant devant les yeux.
J'avais heurté de plein fouet le fait qu'il me restait quelque chose, une chose à savoir, pour totalement comprendre ce monde dans lequel j'étais arrivée.
Et par tous les cieux, quelle chose !
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L'Angevert - Partie I
ParanormalAdolescente amnésique, Élise pensait que seuls les parachutistes tombaient du ciel... jusqu'à ce qu'un jeune homme s'écrase dans son potager. Le nouveau venu est différent, comme elle. Oreilles pointues, armure de cuir et grandes ailes blanches, il...