L'Angevert - Partie I

Chapitre 34 - La lumière de ses yeux

Les marches du château étaient plus basses que dans les casernes. Bien plus somptueuses, aussi. Les attaques étaient arrondies, longées par une large rampe sculptée en pierre polie. Assurément, c'était de ce genre d'escalier, qu'on ne devait pas souvent malmener à gravir aussi vite que je le faisais.

Tendue comme un arc, je déboulai sur une coursive. Une fine rambarde longeait une immense pièce éclairée, blanche, dont les murs étaient toujours aussi minutieusement taillés. Je ne voyais pas le haut ; la salle devait être immense. En coup de vent, je me penchai pour en voir un peu plus.

La première chose qui tomba sous mon nez fut la statue. Un immense ange en pierre blanche, en bien meilleur état que ceux autour du temple, prenait la moitié de la hauteur de ce grand hall. Il était magnifique. Serti d'or sur ses vêtements, une couronne d'émeraudes sur ses cheveux bouclés, il déployait ses ailes avec majesté, une main aimante tendue devant lui. A ses pieds s'étendait un jardin intérieur, symétrique, regorgeant de fleurs multicolores. Son visage était détendu. Figé dans la pierre, éternellement. Mais très vite après m'être étonnée, je pris conscience que ce bel ange n'était pas seul. Une dizaine de serviteurs en toge s'affairaient à droite à gauche. Heureuse qu'ils ne m'aient pas aperçue, je me reculai sur la pointe des pieds.

Il y avait des chances pour qu'on m'interdise de rester ici. De fortes chances, même. Je ne devais pas perdre mon temps. Il fallait que je trouve cette pièce, que je voie qui s'y trouvait ce soir-là. Mais ma détermination s'envola face à mon premier problème. Les portes, à l'opposé de la rambarde, s'offraient à moi par dizaines. Toutes identiques, toutes fermées. Rien n'en dépassait. Evidemment, pas de lueurs vertes pour me guider.

Je soupirai. Puis me mis à les longer. L'une après l'autre, je scrutai les losanges de leur bois, la finesse des poignées dorées, comme si un détail allait soudain m'interpeller. A pas de loup, je m'approchai même d'un battant au hasard, pour écouter à travers la porte. Silence total. Je n'allais tout de même pas toutes les ouvrir ?

Un autre élément coupa soudain court à ma réflexion. Furtivement, avant qu'ils ne soient cachés par la tête de la statue, je vis une patrouille de Gardes de l'autre côté de la coursive, qui faisait chemin vers moi. Le cœur bondissant, je me baissai. M'avaient-ils vue ? Non, ils n'en avaient pas l'air. Pas pour le moment. 

Je n'avais aucune idée de ce qu'on me ferait si on me surprenait ici. Et, étonnamment, aucune envie de le savoir. Accroupie, l'aile aplatie sur le sol lisse, je m'approchai rapidement de la porte suivante. Rien ne la distinguait des autres. Je continuai à avancer, mais les Gardes aussi. Ils poursuivaient leur chemin au-dessus du jardin. Encore quelques dizaines de mètres et ils se retrouveraient face à moi.

L'anxiété me fis tourner la tête vers les escaliers. Je pouvais encore les rejoindre en vitesse pour ne rien risquer. Ce serait plus sage. Fallait-il vraiment rebrousser chemin ? Faire une croix sur cette occasion qui ne se représenterait peut-être plus ? Mes yeux restèrent rivés sur la progression des Gardes, sans que je ne parvienne à me décider.

Et ça déferla sur la coursive.

Surprenamment. Puissamment. Une immense vague d'énergie me fit vibrer des orteils aux cheveux, en me clouant littéralement sur place.

Après quelques secondes, je déglutis lentement.

« Qu'est-ce que c'était que ça ? »

Les vibrations chatouillaient encore mes muscles. Vaguement, très vaguement, elles eurent des airs de séance chez le Sagevert. A une grosse différence. Cette énergie-là était plus... vivante. Plus forte.

Impossible de dire si je me sentais pétrifiée ou totalement revigorée. Mais, quoi qu'il en soit, j'avais maintenant une idée d'où aller. Au diable mon objectif initial, je voulais savoir ce qui avait provoqué cette explosion invisible.