Je commençai à m'essouffler à force de courir. Mon corps me força à ralentir. Ma tête allait et venait entre le château, le ciel et les murailles. Je ne savais pas où je devais aller. Ou rester. Où je devais combattre, ou si je devais vraiment aller me cacher, pour éviter de me faire tuer. Je ne savais pas, je ne savais plus rien. Je pensais savoir me battre. Mais Trimidis avait peut-être raison. Peut-être que ses mises en garde étaient fondées. Peut-être que je n'étais pas, ou plus, à la hauteur.
Seule et désemparée, je continuais à errer au milieu de cette folie mouvante, ce champ de bataille sur terre et dans le ciel, embrasé à travers les nuages par les rayons du soleil couchant.
« Réfléchis, Lyruan, m'exhortai-je. Réfléchis. »
Je revis le visage de Galliem. Son visage rond de gamin. Ses grands yeux, humides de joie, chez Jeanne et Emile. Le destin ne pouvait pas me faire ça. Il ne pouvait pas encore m'arracher à lui, à ce monde. Ce serait trop ironique. Trop cruel.
Et, non. C'était hors de question. Hors de question que je me décourage. Je me battrais. Et je survivrais. Au moins pour cette andouille qui me servait de frère.
Trois Utopiens traçaient vers mon aile avachie. Cette fois, ils se déplaçaient plus vite que moi. J'eus à peine le temps de m'arrêter, inspirer ; mon bâton se leva au dernier moment. A nouveau, je dus parer des coups de poignards, d'épées, de lances. Je le sentais, maintenant, j'en étais sûre. Je contrais des attaques qui cherchaient à tuer.
J'eus l'impression de retourner au milieu du vide.
D'autres arrivèrent. Ils étaient nombreux. Placer la bonne parade au bon moment devint de plus en plus difficile. J'étais seule contre deux soldats, puis trois, puis j'en mis un à terre. Puis à nouveau deux se bousculèrent sur moi, puis quatre... Impossible de détourner le regard, ne serait-ce pour voir si un camarade me venait en aide.
Les Utopiens m'entouraient, il fallait les empêcher de bifurquer dans mon dos. Les éraflures se multipliaient sur mes bras, mon cœur sautait dans ma poitrine chaque fois qu'une lame me frôlait. Inlassablement, mes muscles encaissaient les coups, arrivaient à se tendre pour en donner, puis encaissaient à nouveau. Je puisais dans mes réserves pour rester dans le combat, sans réaliser que je m'enfonçais dans une situation délicate.
Vraiment délicate.
Si j'avais été honnête avec moi-même, j'aurais dit mortellement dangereuse.
Ça s'éternisait. Insidieusement, mon instinct de survie prenait le relais sur mes actions. Le plus risqué pour moi, sans doute, était de refuser de le reconnaître. Je le repoussai, car l'accepter, ç'aurait été comprendre que je ne contrôlais plus la situation. Et, peut-être, que ce combat irréfléchi était celui de trop. Que si je ne m'en échappais pas, celui-ci se terminerait, d'une façon qui ne me plairait sans doute pas.
Je pris un temps que je n'avais pas pour me décider.
Puis, doucement, je me sentis ralentir.
Le flux de soldats fanatiques ne s'arrêtait jamais. Un raz-de-marée de masques était en suspend autour de moi. A chaque seconde, j'aurais pu m'écrouler sous les armes. Mais aucune épée ne terminait son geste vers ma chair. On frappait moins fort. On contre-attaquait moins vite. Mais on rigolait plus. Le combat s'était transformé en jeu. Un jeu sordide, dont l'issue était connue des joueurs, mais qu'on continuait, pour voir jusqu'à quand j'allais tenir, avant de céder.
« Moi, céder ? »
Bien sûr que non.
Mon coup de bâton rebondit sur un Utopien, hilare. Evidemment que je ne céderais pas. Je me retournai pour protéger mon aile des lames. Rien d'insurmontable, je pouvais le faire, j'allais le faire.
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L'Angevert - Partie I
ParanormalAdolescente amnésique, Élise pensait que seuls les parachutistes tombaient du ciel... jusqu'à ce qu'un jeune homme s'écrase dans son potager. Le nouveau venu est différent, comme elle. Oreilles pointues, armure de cuir et grandes ailes blanches, il...