Chapitre 42 - L'éclair (partie II)

300 47 38
                                    



Ma nouvelle monture se mit à prendre de la hauteur.

L'Utopien tourna sur lui-même plusieurs fois. Ses mains s'envoyèrent par-dessus, en-dessous de ses épaules. Il tenta de décoller mes chevilles l'une de l'autre. Je lui cédai ce point, et ramenai mes jambes dans son dos en vitesse, avant qu'il n'ait l'idée d'utiliser la longue épée qui tapait contre sa hanche.

Il n'était plus dans cet immobilisme arrogant. Je sentais le désordre et la panique dans ses mouvements. Les rôles étaient inversés. L'énergie du pendentif me calmait, me rassurait, me confortait dans cette idée : il ne pourrait plus rien me faire.

Le souffle d'énergie continuait de battre dans mon corps. Je ne savais pas si c'était lié à mon état, mais ce tout petit pendentif suffisait à me faire l'effet d'une monstrueuse résurrection. Comme si elle débloquait quelque chose en moi. Une ultime réserve de vitalité. Alors que la situation ne s'y prêtait pas, je me fis sourire. Je ne pensais pas mon cas aussi désespéré pour être réveillée par deux rayons et demi.

Les gants noirs griffaient mon uniforme. Les coudes solidement arrimés derrière les ailes de l'Utopien, je ne décollais pas de son dos. Elles battirent l'air encore, encore, nous firent monter plus haut, toujours plus haut. Les murailles défilaient dans les nuages ; c'était la première fois que je voyais ce paysage dans ce sens.

Nous passâmes au-dessus du chemin de ronde. L'Utopien s'en écarta ; il avait raison. Quelques mètres en moins et je sautais. Je ne m'aventurerais pas à le combattre. L'énergie était trompeuse, j'étais bien consciente d'avoir atteint mes limites. Il suffisait que j'aie un pied sur la terre ferme, un seul, et l'asperge pouvait faire une croix sur moi et sur son bijou.

Le vert embrumé de la prairie réapparaissait sous les longues pattes noires de ma monture. Les soldats rapetissaient ; avec le blanc de leur chemise, on aurait réellement dit des moutons dormant dans un pâturage. Le brouillard était dense, les tours du château le perçaient un peu plus loin, comme si elles flottaient au-dessus du sol. Le vent soufflait toujours. Il portait avec lui des cris bruyants venant du ciel...

« Du ciel... ? » Ça m'étonna, les cris auraient dû venir du château. Mais non, plus personne. Personne, ni contre les ouvertures, ni sur la prairie, ni sur l'esplanade. « Mais alors, ils seraient bien... ? » Soudain anxieuse, je levai la tête vers les nuages.

Pile au-dessus du château, peut-être une cinquantaine de mètres après les tours, la brume tourbillonnait autour de centaines d'ailes noires. L'amas piaillait, s'affolait. Les masques se succédaient les uns au-dessus des autres. Vu la formation, l'endroit où ils étaient, je n'eus pas besoin de réfléchir davantage. Ce qui était en train de se passer s'imposa comme une évidence.

Nous avions perdu.

Les Utopiens allaient plonger ensemble sur le château. Et après nous avoir affaibli de la sorte, autant dire qu'ils avaient le champ libre. C'était un boulet de canon à plumes qui s'était formé au-dessus du château, un boulet coup de grâce. Des Vendomediens suicidaires montaient le long des tours pour tenter de s'interposer, mais ils se comptaient sur les doigts d'une main. Les bâtons tombaient, l'abandon se sentait dans ces silhouettes minuscules. Un tel spectacle me fit presque oublier le catastrophisme de ma propre situation.

Dans ce vacarme à plumes, les lames s'agitaient en direction des plaques de marbre qui protégeaient les ouvertures du château. Aucun doute, ils les dégonderaient. Ils entreraient dans le château. Ils la trouveraient, cette Princesse fragile qui nous servait de dieu. De dieu bien inutile, en y pensant. Elle ne s'était pas montrée. Où était-elle ? Sa maladie la rendait donc t-elle incapable ? Était-elle seulement encore en vie ? Venions-nous tous de combattre, juste pour retarder une défaite inéluctable ?

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant