C'était bizarre. Excepté de ce qu'il pouvait faire à mes parents, je n'avais pas peur de cet étranger apparu dans le jardin. Au plus je le regardais, au plus je lui trouvais un air... Enfin, je trouvais qu'il... Non, en fait rien.
— Est-ce que... ça va ? lui demandai-je en m'accroupissant à côté de lui.
Il maugréa, les yeux toujours clos. Evidemment que ça ne devait pas aller. Le choc avait dû être rude. Je n'en revenais d'ailleurs toujours pas qu'il soit en un seul morceau. Quand je l'avais aperçu, il était facilement plusieurs dizaines de mètres au-dessus de ma tête.
Je saisis son bras et le passai au-dessus de mes épaules. D'une main, je tins fermement son poignet, et serrai sa taille de l'autre. En deux ans, j'étais certaine de n'avoir jamais appris ce mouvement. Pourtant, je le fis avec une telle souplesse, que j'eus l'impression de l'avoir fait toute ma vie.
Emile et Jeanne m'attendaient toujours près de la porte. Je marchai doucement vers eux en murmurant des encouragements à l'inconnu. Il traînait tellement les pattes, je le portais presque.
— On y est pesque... Allez, essaye de marcher. Voilà, doucement.
— Allonge-le sur le canapé, me conseilla Jeanne, visiblement plus perdue que moi.
Le jeune homme gémit quand je lâchai sa tête sur un coussin. Jeanne partit pressement vers la cuisine, Emile resta avec moi, le regard rivé sur lui.
— ... tortis-coli..., se plaignit soudain l'inconnu.
— Tu as entendu ? murmurai-je à Emile. Il a un tortis-coli...
— Tu as compris un mot dans ce qui vient de baragouiner ? répliqua mon père, abasourdi. J'ai pas mon appareil, aussi, c'est peut-être pour ça...
Je hochai imbécilement la tête sans comprendre ce qu'il voulait dire, quand Jeanne revint avec un oignon coupé en deux.
— Fais-lui respirer ça, va, chevrota-t-elle.
J'obéis. Avec mille précautions, je soulevai la tête du jeune homme et approchai l'oignon de son nez.
L'effet ne se fit pas attendre.
— Pouah !
L'inconnu se releva, raide comme un piquet, et repoussa brutalement ma main odorante. Il se frotta les yeux en crachotant, puis les ouvrit. Et ses iris se braquèrent sur moi avec une telle vitesse que je m'en sentis presque agressée.
Jamais je n'avais vu des yeux semblables. Son regard était doré, lumineux, ému. Quasiment hypnotisée, je faillis ne pas voir une larme légère glisser discrètement sur sa joue, emportant de la terre dans son fil.
Pourquoi cette larme ? Était-ce à cause de l'oignon, ou... à cause de moi ? J'avais de bonnes raisons de le penser, ce garçon me fixait sans ciller et, même à cette distance, je pouvais sentir son cœur battre.
Soudain, mon cerveau se remit à faire des siennes. Je revis ce regard. Toujours en face de moi, mais pas chez Emile et Jeanne. Ces yeux dorés appartenaient à un visage d'enfant, rond, souriant dans un hamac en toile de jute.
Ma vision revint au salon. Plus aucun doute, le sentiment familier que j'avais ressenti dans le jardin revenait au galop. Sans quitter la personne des yeux, je murmurai pour mes parents :
— Je le connais.
L'inconnu accepta tout ce qu'on lui offrit à manger. Des fruits, de la viande hachée, de la glace, puis de la semoule, encore des fruits et beaucoup de sirop de fraise. Pour la plupart, on aurait dit qu'il découvrait les aliments. Il éprouva aussi vite le besoin de se couvrir ; il tremblait comme si nous étions en chambre froide. Ce fut aussi l'occasion pour moi de remarquer qu'Emile et Jeanne ne portaient pas de veste, moi deux. Je n'y avais jamais fait attention auparavant.
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L'Angevert - Partie I
ParanormalAdolescente amnésique, Élise pensait que seuls les parachutistes tombaient du ciel... jusqu'à ce qu'un jeune homme s'écrase dans son potager. Le nouveau venu est différent, comme elle. Oreilles pointues, armure de cuir et grandes ailes blanches, il...