Chapitre 53 - Il n'existe pas

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Mon frère ne clignait plus des yeux. Un sourire diabolique gravé sur le visage, il tenait en équilibre sur une épaule et un talon, le pied tendu dans ma direction. De ses mèches décoiffées, au bout de ses ongles, tout son corps luisait d'une légère lumière, scintillante et verdâtre, qui acheva, en beauté, de m'expliquer ce que j'avais fait.

— ... Galliem ?

Sa position devait être pire qu'inconfortable, pourtant il ne tremblait pas. A cet instant, je devins son parfait opposé. Fébriles, mes mains se mirent à le survoler, sans savoir où se poser. Je voulus parler, le débloquer ; je n'arrivais à faire ni l'un ni l'autre. Le voir dans cet état altérait tout, jusqu'à ma perception de ce pouvoir que j'avais allègrement testé sur Migonem.

Galliem s'était totalement pétrifié. Son cœur ne battait plus. Figé sur lui, son sourire avait des allures de masque mortuaire. Autour de nous, le temps suivait son cours, sans mon frère. Je ne l'avais pas seulement immobilisé. Je l'avais expulsé de notre réalité. Coincé dans une autre dimension, par ma faute, Galliem n'était littéralement plus de ce monde.

Je devais faire quelque chose. Impossible. Je n'arrivai plus à penser à comment... à ce que je pouvais... « Du calme ! » Il fallait réfléchir. Posément. Sa vie suspendue comprimait ma peau, juste là, dans ma paume. Je pouvais le relâcher ; la manière d'y parvenir était même assez intuitive. Encore vibrante, je tendis ma main vers lui, prête à délier ses liens temporels. Mais, au moment de le faire, je fus soudain prise d'un doute.

Galliem ne m'avait pas vue me tourner vers lui. Si je remettais son temps en marche, s'il nous voyait brutalement face-à-face, allait-il comprendre ? Allait-il se douter de quelque chose ?

« Sûrement. »

Tendue comme un arc, je sortis un cri de souris mémorable.

Bon sang, le retour de la voix ! Je ne savais pas si ça décuplait mon stress, ou tombait à pic.

— Encore toi ? lançai-je, affolée. Aide-moi, qu'est-ce qu'il faut faire ?

« Si tu veux qu'il découvre la vérité, reste comme tu es. »

Galliem, au courant ? Cette idée me donna des sueurs froides. Même le plus croyant du monde, il ne me dénoncerait jamais, seulement... Je le voyais tout à fait capable de vendre la mèche involontairement.

— ... Et si je ne veux pas qu'il sache ? m'enquis-je.

« Remets-toi à ta place, avant de débloquer le temps. »

— Impossible que je reprenne exactement la même ! me plaignis-je aussitôt.

« Tu m'as demandé ce qu'il fallait faire, je t'ai répondu, mon ange. »

Je comparai les deux possibilités. Mais la seule chose à faire était assez évidente. Marmonnant, je commençai à me rasseoir face au château, le plus fidèlement possible à ma posture d'origine. Je le faisais sans réfléchir. M'en rendre compte me stoppa net. Les joues vivement chauffées par une gêne monstrueuse, je m'écriai :

— Une petite seconde ! Vas-tu me dire qui tu es, à la fin ? Tu es réel, pas vrai ? Comment fais-tu pour me parler ? D'où viens-tu ? De quel royaume ?

Le vent souffla deux ou trois fois avant que je ne l'entende à nouveau.

« Tu veux savoir si je suis avec Utopie. » résonna finalement la voix.

Je ne répondis pas.

« S'il est question de gagner ta confiance, j'ai mieux à te proposer. »

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant