Chapitre 8 - Oisillon (partie II)

481 77 5
                                    


— Galliem ! Il y a quelque chose qui pend là-bas !

Il ne m'entendait pas.

— GALLIEM !

Sa tête se redressa. Je tendis ma main libre face à nous. Enfin, il vit la même chose que moi : un trait sombre, qui tombait presque raide entre les nuages. On aurait dit une corde.

Soudain je le sentis revigoré. Il expira si fort que je l'entendis, puis battit l'air avec amplitude, droit vers cet objet pendant non identifié.

« J'espère... J'espère que nous ne sommes pas tous les deux en train d'halluciner... »

Le vent ne nous simplifia pas la tâche. Au contraire. Galliem filait vite, mais il avait visiblement du mal à garder sa vitesse et son cap. Cette fois, avec un point fixe en vue, je pus vérifier qu'il ne volait pas droit du tout. Il se laissait surtout malmener par le vent, sans chercher à imposer sa direction. Peut-être était-ce une stratégie pour économiser ses forces, mais ça avait pour désavantage de nous faire perdre un temps précieux.

L'ombre rectiligne n'était plus qu'à une cinquantaine de mètres de nous. A présent, j'ignorais totalement les éclairs. Pour moi, il n'y avait plus que cette corde, totalement irréelle, entre deux nuages, qui avait de l'importance. C'était notre seul salut. Galliem était à bout de souffle. Ses bras tremblants menaçaient de me lâcher à chaque seconde. En me retournant pour la première fois vers ses ailes, leur majesté ne me rassura pas comme ce que j'espérai. Dépliées dans une envergure de plusieurs mètres, les plumes longues et droites, grisées par la pluie, elles ne battaient plus l'air. Galliem planait vers la corde.

— Allez Galliem, courage ! articulai-je près de son oreille.

Il sembla marmonner quelque chose. Puis, avec effroi, je me rendis compte qu'il penchait la tête. Nous perdions de l'altitude.

Sans oser le lui hurler à gorge déployée, j'agrippai fermement son bras pour qu'il se rende compte de ce qu'il faisait, mais il poursuivit sa descente. La corde était toujours en face de nous ; je n'osais plus la quitter des yeux, de peur que Galliem ne descende trop bas et que nous la perdions de vue.

— Remonte ! lui criai-je dans l'oreille — ou la joue, je ne sus pas, le vent nous secouait beaucoup trop.

Il continua à piquer, ses yeux grand ouverts fixés sur la corde malgré les bourrasques. Penchée avec lui, je sentais nos cœurs tambouriner dans nos poitrines. Impossible de savoir ce qu'il voulait faire. Une nouvelle fois, c'était très dur à admettre, mais je ne pouvais rien faire. Attendre était ma seule option, tout en continuant à confier mon destin à ce garçon, que je connaissais depuis la veille.

La corde se rapprochait. Nous continuions à perdre de l'altitude. Puis vint ce moment fatidique, où j'aperçus l'extrémité de la corde. Une forme sombre et épaisse pendait à son extrémité.

Pour moi, cela ne signifia qu'une seule chose. Galliem ne pouvait plus se permettre de descendre. Il devait tout donner. Tout. Pour rattraper cette corde, avant qu'il ne tombe d'épuisement dans le chaos de la tempête.

Je n'eus même pas besoin de le lui hurler.

Les ailes de Galliem semblèrent reprendre vie, ses bras se refermèrent solidement sur moi. Chaque muscle de son corps se contracta, puis je sentis toute la force, toute l'ampleur d'un battement d'aile immense et parfaitement calculé, qui nous envoya directement vers le bout de la corde.

De l'admiration. Je ressentais de l'admiration. Galliem se mouvait en concordance avec ses ailes. Sa tête, son torse, ses jambes, je percevais l'harmonie de ses membres pour contrer la tempête. Mes yeux pleuraient, mais hors de question de les fermer. Il fallait que je grave ce ballet aérien de la délivrance dans ma mémoire.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant