Quelqu'un avait parlé. Il n'y avait personne. Mais je refusai de penser que l'angoisse me faisait perdre la tête. Était-ce un Garde ? Migonem, déjà ?
— Montrez-vous ! lançai-je.
La porte resta aussi vide que précédemment.
« Tu m'entends. J'en suis ravi. »
Je me retournai vers le parvis.
« Malheureusement, je ne peux t'offrir que ma voix. Je suis ravi que tu m'entendes. Réellement ravi, mon ange. »
— Où êtes-vous ? m'affolai-je en me contorsionnant une nouvelle fois. Qui êtes-vous ?
Quoi, était-ce un rire, maintenant ?
« Personne. Rassure-toi, je ne te veux pas de mal. Appelle-moi comme tu le souhaites. »
« D'accord, d'accord, me calmai-je. J'entends des voix. C'est le stress. Non, le soleil. Je vais rentrer boire quelque chose... Mais... et Migonem, alors ? »
J'oubliai mes hallucinations pour river mon regard sur le caporal. Toujours au même endroit, il tenait son pied en l'air, prêt à se poser sur l'herbe.
Ridicule. A quoi jouait-il ? Comme si la cérémonie qui l'attendait pouvait justifier de creuser son retard... Sûrement n'avait-il pas plus envie que moi que nous nous croisions. Feignait-il l'immobilisme, le temps que je parte ? Malicieusement, je commençai à compter. Une seconde. Son pied restait suspendu au-dessus du gazon. Deux secondes. Dix, vingt, il ne bougeait toujours pas. Une minute passa. Là, je dus bien me rendre à l'évidence que quelque chose n'allait pas.
— Mais qu'est-ce que...
« Non, ce n'est pas l'œuvre de la Princesse. » coupa soudain la voix.
Cette fois, je ne me retournai pas.
« C'est toi. » affirma-t-on.
— Comment ça, c'est moi ? répétai-je, ahurie.
« C'est toi qui l'as immobilisé. Crois-moi sur parole. »
Croire un délire de mon esprit ? Je voulais bien que le soleil me rende schizophrène, mais il ne fallait pas exagérer.
« ... D'accord, mon ange. Essaye de le faire bouger. »
— Très drôle, raillai-je, seule face au parvis. Comme si moi je...
Migonem avançait. Je sentis les cheveux sur ma nuque se dresser. En catastrophe, je priais pour qu'il s'arrête de nouveau. Ce qu'il fit. Je me levai d'un bond dans les escaliers.
« Inutile de penser qu'il s'agit d'une illusion. »
— Comment saviez-vous que..., soufflai-je, fébrile.
« Ce pouvoir est tien, désormais. Utilise-le à ta guise. Je serais toujours là avec toi, mon ange, si tu as besoin de moi. »
— Un instant, un instant, fis-je en levant les mains.
Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Qui me parlait ? Qui ? Ce n'était pas la voix d'Angelina, ni celle du Sagevert, ni de personne que je connaissais. Comment faisait-il ? Comment parvenait-il à me faire croire que c'était moi qui...
Mes mains me parurent soudain étranges. Interdite, je tournai les paumes vers moi.
Ma peau brillait d'un vert que je ne connaissais que trop bien. Des particules légères s'en échappaient, pour se perdre dans l'air. Au centre, un losange, plus étincelant que le soleil, se dessinait entre mes lignes. Pensant soudain aux Gardes, je m'empressai de refermer les poings. Puis, lentement, je me tournai à nouveau vers le caporal.
Docilement, Migonem fit un pas en avant. S'arrêta. Un autre. Ralentit, s'arrêta, repartit, puis s'arrêta encore. A chaque fois, une infime pression venait comprimer ma paume, comme si je sentais physiquement sa vie se suspendre dans ma peau.
J'aurais pu m'effondrer sur les marches. Ou hurler, courir chez le Sagevert. A la place, je restais en plein soleil, les bras ballants et la bouche entrouverte, à fixer la face du plus merveilleux instructeur de Vendomeland.
« Une explication. »
Vite. Il m'en fallait une. Je détestais ça. Je ne comprenais rien. Vite, réfléchis. Une explication. Logique. Fiable. Angelina m'avait-elle fait quelque chose, la veille au soir ? Son énergie s'était-elle logée dans mon corps, d'une quelconque façon ? Ou alors, était-ce à cause de son sort ? De l'éclair ?
Vraiment ? Était-ce l'éclair ?
Aucune voix dans ma tête ne vint infléchir mon raisonnement.
Après avoir retrouvé une partie de ma mémoire, j'aurais aussi gagné des pouvoirs ? Ou escroqué, plutôt... Angelina savait-elle ce qu'elle m'avait fait ? La fenêtre de sa chambre n'était pas loin. Je pouvais essayer de la rejoindre... Une minute, non. J'étais sur liste noire. Oui, mais c'était une urgence... Que faire ? Qui aller voir ? Qui pourrait m'aider ? Le Sagevert ? Oui, sans doute. Je m'élançai en direction de sa tour, avant de m'arrêter si brutalement, que je manquais de me m'effondrer sur le dallage.
Le pouvoir de l'Angevert devait rester à l'Angevert. C'était ce qu'il m'avait dit. Comment qualifiait-il le fait de l'utiliser malgré tout, déjà ? Un crime ? Un sacrilège ? Non, franchement, comment pourrait-il m'en vouloir ? Je n'y étais pour rien ! Je fis un pas de plus.
« Non. Non. »
Je me stoppai de nouveau.
C'était un religieux. Un fanatique, sûrement. Il ne perdrait pas un instant pour me maudire, puis il me dénoncerait sans aucun remord.
Pourtant, ce docteur-magicien, même s'il utilisait ce pouvoir, il n'avait jamais de problème de conscience ou de justice. Comment faisait-il... ?
« Le coma. »
Oui. C'était ça, c'était ma solution à moi aussi. Il fallait que j'arrête. Maintenant. Que j'expie ma faute d'autant de minutes d'inconscience, et on n'en parlait plus.
Je me rassis et me concentrai. Le tourbillon d'énergie qui vibrait en moi ne s'arrêtait pas. Je respirai lentement, pas d'amélioration. Je relâchai Migonem ; oui, bien sûr, je l'avais oublié. Maintenant, j'allais perdre conscience d'un instant à l'autre...
« Inspire, expire... »
Continuer comme ça.
« Inspire... »
— Walkaerys, feignasse, vous pensez qu'il est l'heure pour un bronzage ?
Mes yeux se rouvrirent sur mes poings serrés. En écartant les doigts, je vis encore une petite lueur briller à l'intérieur.
— Non, caporal, fis-je sans lever le menton.
— Magnez-vous. Et remettez-moi ce plastron en vitesse.
Je sentis ses pas s'éloigner. Je ne bougeai pas.
Je tremblais.
— La voix ? appelai-je doucement. La voix ? Tu es là ? Qu'est-ce qui se passe ? Je ne veux pas plus de problèmes, aide-moi à arrêter ça...
La lumière de mes mains se tarissait. Mais je sentais que l'énergie continuait de se dépenser, sans doute par réflexe, pour me garder éveillée...
Ce n'était pas tenable. Chaque seconde qui s'écoulait ne faisait que rallonger mon dû. Je devais perdre conscience. Tout de suite, par tous les moyens. Je préférais le faire maintenant, et que la Garde prenne ça pour une sieste, plutôt que dans un jour, une semaine, un mois, entourée de Vendomediens, qui, sans aucun doute, ne me complimenteraient pas après mon long sommeil...
J'essayais. Encore. Encore. Rien à faire. Des poings serrés frappèrent mon visage.
Par tous les cieux.
Quitte à m'écraser ensuite, peut-être aurais-je mieux fait d'esquiver cet éclair.
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L'Angevert - Partie I
ParanormalAdolescente amnésique, Élise pensait que seuls les parachutistes tombaient du ciel... jusqu'à ce qu'un jeune homme s'écrase dans son potager. Le nouveau venu est différent, comme elle. Oreilles pointues, armure de cuir et grandes ailes blanches, il...