Chapitre 25 - Le Sagevert

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C'est ainsi que nous nous retrouvâmes tous les trois à marcher en direction du château. La direction suffisait à me donner la boule au ventre, mais heureusement, Fen avait un air détendu communicatif. Quant à Troser, difficile à dire ce qu'elle ressentait... Cette fille avait l'air figée sur une expression attendrissante et n'ouvrait jamais la bouche.

Apparemment, le « Sagevert » se trouvait dans une annexe collée au château. C'était ce que Fen m'avait dit. Il s'agissait d'une sorte de médecin qui utilisait les pouvoirs de l'Angevert et guérissait d'à peu près tout. Expliqué comme ça, l'opération avait l'air simple comme bonjour. Mais, malgré moi, cette description me laissait dubitative. Allais-je vraiment être soignée par un médecin se disant maître des pouvoirs d'un esprit religieux ? Une sorte de prêtre-magnétiseur ? Me convertir à leur religion ne me dérangeait pas, mais un simple effet placebo serait-il suffisant pour que je retrouve mes ailes ?

Uniformes ou pas, faire route droit vers le château suffit à automatiquement attirer l'attention des Gardes Royaux. Mais les reflets des heaumes brillants, discrètement rivés vers nous depuis la porte et les tours, se détournèrent pour la plupart quand nous nous engageâmes le long de l'édifice. Nous longions tranquillement les ornementations de la façade qui couraient sur les murs, ondulaient avec nous, en nous rapprochant d'une petite tour, détachée du gros du bâtiment.

— Après toi, me proposa Fen une fois arrivés face à une porte en bois blanc, marquée de l'éternel losange de Vendomeland.

Je poussai le battant sur une fraîche pénombre. L'intérieur de la tour était bien moins éclairé que l'extérieur ; j'entrai avec prudence, Fen et Troser à ma suite, puis refermai la porte, en laissant mes yeux s'habituer à l'obscurité.

Cette tour était sans étages. Ce n'était qu'une seule et même salle, à la hauteur sous plafond impressionnante. De petites fenêtres, près de la voûte, laissaient pénétrer quelques rayons de soleil, qui éclairaient en oblique des dizaines, des centaines d'immenses étagères emplies de pots, livres, plantes en pots et objets débordants d'engrenages, dont je ne pouvais qu'imaginer la fonction. Collées à ces étagères, je remarquai çà et là des plateformes en bois, de différentes hauteurs, sans échelles typiquement Terremediennes pour y accéder. Sous l'une d'elles, dans un recoin des bibliothèques, un grand drap poussiéreux recouvrait maladroitement de grandes et étranges pattes métalliques, qui venaient s'échouer sur l'épais tapis recouvrant un sol en dalles de marbre. Le sommet de la tour, enfin, était percé en son centre par la chaîne d'un lustre d'or, cuivre et cristal, dans un agencement complexe, qui ne devait rien envier au nœud qui commençait à se former dans mon ventre. Cette tour m'intriguait trop pour me rassurer. Elle semblait à la limite entre le faste des dorures de la salle du trône, le repaire d'un apothicaire-mécanicien et... une salle de repos. En effet, au centre, quelqu'un était tranquillement en train de dormir, sans sembler avoir été perturbé par notre entrée à tous les trois.

— C'est lui, me chuchota Fen.

Intriguée, je contournai une table ou deux pour m'avancer. Des vases, des cordes, des boites en fer forgé... Étrangement, tout ce bazar avait l'air parfaitement organisé. Pas un objet ne touchait l'autre, ou s'approchait trop dangereusement d'un rebord. Mais dès que je fus face à leur propriétaire, mon admiration se mua en dégoût si vite, que je ne pus retenir une grimace terriblement déplacée.

Sagevert, c'était un bien beau nom. Personnellement, j'aurais plutôt opté pour « Erreur de la nature. » 

Des cheveux gris, des rides, il avait tout l'air d'un petit frère à Emile... si ce n'était la seconde moitié de son visage. Sa peau y était ferme, lisse, comme s'il était à peine plus âgé que le caporal Trimidis.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant