Le caporal continuait de marcher le long du rang, lentement, son regard courroucé braqué de longues secondes sur chacun de nous. Je pense que nous avions tous sous-estimé sa capacité à s'emporter. Et encore, je ne savais pas à quel point...
— Alors comme ça on a un problème avec le respect de la hiérarchie, les bleus ? siffla Migonem. Pas de problème. Je vais vous l'apprendre, moi. Prenez tous un bâton, et que ça saute !
Une petite panique me secoua. Puis je remarquai un tas de bouts de bois, longs d'un peu plus d'un mètre, empilés à côté du rang. Bousculée par les autres, j'en pris un au hasard, à toute allure. Il était très usagé, marqué de nombreux coups et même un peu fendu à une extrémité.
— EN RANGS ! s'écria soudain Migonem.
Fallait-il reprendre la même place ? Où était la ligne du rang ? Les autres devaient se poser les mêmes questions que moi. Le « rang » eut l'air d'un fouillis monstrueux, avant que je ne voie le garçon de tout à l'heure, placé avec une telle assurance que je me dépêchai de serrer les pieds près de lui. Les autres continuèrent après moi. Notre rang se forma ainsi, en sans doute beaucoup trop de temps pour plaire au caporal. Mais celui-ci ne releva pas. Il nous regardait avec un sourire, que je dirais entre la pitié et le sadisme.
— Pleh, devant ! ordonna-t-il en montrant le sol de son bâton.
Un soldat maigre aux cheveux courts, bruns et bouclés, visiblement peu à l'aise, s'avança vers le caporal.
— En garde ! lui hurla le caporal.
Tant bien que mal, le pauvre jeune homme tenta de l'imiter. La seconde d'après, un coup de bâton de Migonem l'envoya valser par terre. Pleh gémit, je m'effarai.
— Consternant ! cracha Migonem. Guijer, à vous !
Interdit, un deuxième soldat aux cheveux foncés vint face à lui. Sans doute l'autre qui avait contredit le caporal. Guijer, donc, tint son bâton un peu mieux que Pleh. Mais s'il para un coup, ce fut pour mieux s'en prendre deux autres dans les joues juste après.
— Allez, à qui le tour ! tonitrua le formateur de l'année, alors que Guijer tombait au sol.
« Il va vraiment passer tout le monde à tabac ? » m'horripilai-je. Un blond carré d'épaules s'avança, en faisant tourner son arme.
— Je ne voudrais pas vous faire mal, mon caporal, osa-t-il baratiner.
— J'aimerais bien voir ça ! railla son adversaire.
Et le fanfaron se retrouva au tapis comme les autres. Dans le rang, quelqu'un pouffa, mais moi, je ne riais pas du tout.
Mais alors, pas du tout.
Cette idiotie malsaine, je ne voyais pas comment on pouvait appeler ça un entrainement de premières recrues.
— Le Colonel approuve-t-il cette façon de faire ? lançai-je vivement au caporal, alors qu'il cherchait sa prochaine victime.
Le pouffement de rire cessa. Sur mon côté, je sentis tous les regards se tourner vers moi. Migonem me jugea silencieusement, de ses yeux sombres et avides. Puis il reprit vite son sourire.
— Vous... Je comptais garder le meilleur pour la fin, mais c'était sans compter la tentation que vous m'inspirez soudain par votre impertinence. Avancez.
Le rang sembla partagé entre la curiosité et la crainte. Dans tous les cas, je ne sentis pas vraiment de soutien. Mais je ne me sentais pas l'âme de m'opposer. Serrant mon bâton, j'inspirai, puis, en quelques pas lents, vins me placer devant Migonem.
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L'Angevert - Partie I
ParanormalAdolescente amnésique, Élise pensait que seuls les parachutistes tombaient du ciel... jusqu'à ce qu'un jeune homme s'écrase dans son potager. Le nouveau venu est différent, comme elle. Oreilles pointues, armure de cuir et grandes ailes blanches, il...