Chapitre 13 - « A vos ordres. » (partie II)

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A peine Galliem avait-il retiré sa main de la porte du Colonel qu'un soldat, capé en blanc et rouge, vint passer sa tête par la porte.

— C'est pour ? lança-t-il avec suspicion.

— Sa Majesté nous envoie. Soldat Walkaerys et sergent Walkaerys, deuxième compagnie.

La voix de Galliem était étrangement sérieuse. Mais l'autre ne parut pas convaincu. Il souleva un sourcil dans ma direction.

— La Tombée ?

— Oui, celle-là même.

— Laissez-les entrer, s'exclama une voix grave dans le fond de la pièce.

Le soldat changea aussitôt d'expression. Docilement, il nous ouvrit la porte. J'entrai avec Galliem, laissant soin au capé de refermer derrière nous, pour avancer vers cet homme absorbé par de la paperasse qui nous faisait face.

Le Colonel était un militaire d'un certain âge. Cheveux et barbe gris, sa carrure était cependant celle d'un homme à qui il ne fallait pas chercher des noises. Il ne ressemblait pas aux autres soldats, ce qu'il portait avait plus l'air d'une tenue de civil aisé que d'un uniforme. Il nous laissa nous approcher, tranquille, assis derrière un bureau en bois massif, entouré d'une quantité incroyable de plans épinglés sur les murs. Je ne pus m'empêcher de comparer cette pièce et son luxe ambiant à la misère des quartiers en patchwork, que je traversai plus tôt, en bas du nuage.

Galliem me fit un discret coup de coude avant de saluer le Colonel. Je l'imitai tant bien que mal, même si le mouvement me sembla vaguement familier. Le militaire arrangea quelques liasses puis leva les yeux. En silence, il nous dévisagea tous les deux. Enfin, surtout moi. Impassible, je soutins son regard aussi longtemps qu'il le désira.

Puis, finalement, il lança un doigt accusateur vers Galliem.

— VOUS, gronda-t-il.

— Mon Colonel, couina Galliem.

— Vous m'avez fait HONTE, tonna-t-il en se levant brutalement. Vous avez fait honte à notre CORPS ENTIER. J'aurais préféré, oui préféré, que vous passiez votre envie de rébellion sur un ordre à MOI plutôt que sur un ordre de la REINE. De la REINE, soldat ! ON NE DESOBEIT PAS A LA REINE ! Et vous pouvez vous estimer heureux que je vous ENGUEULE, car ça veut dire que vous êtes encore ICI et pas sur Utopie, ou sur n'importe quelle autre île, où vous auriez fini en CHARPIE !

Galliem ne répliqua pas. Je sentais que je ne devais rien dire non plus. Une phrase de défense pour son acte se formula dans ma tête, je me tins prête à la sortir, tandis que le Colonel se rasseyait en se massant le front.

— Décidément, maugréa-t-il, la désobéissance est de famille... Fort heureusement, tout n'est pas noir dans vos actions. On y trouve toujours quelque chose de... remarquable.

Il me regarda moi.

— Sergent Walkaerys, fit-il sur un ton soudain beaucoup plus aimable. Vos exploits parlent de vous avant que vous n'ayez ouvert la bouche. Je suis ravi que ces deux ans d'absence n'aient été que deux ans. Votre retour est des plus bienvenus, surtout par les temps qui courent... Je compte sur vous pour remotiver vos troupes, plus que jamais. Vous savez, la promotion que vous touchiez du bout des plumes peut revenir bien vite. L'Armée Blanche a toujours à cœur de récompenser les meilleurs, mais nous devons nous assurer que vous... n'avez pas perdu la main, vous comprenez, n'est-ce pas ? Vu vos talents, personnellement, je ne me fais pas de souci.

Il me sourit. Un silence, vite, c'était le moment, je devais parler.

Il fallait que je le dise. Maintenant, ou jamais, car je voyais déjà le tsunami menaçant de mon existence passée me rattraper. Des responsabilités qui m'incombaient continueraient de surgir de la bouche de cet homme, alors que je n'étais plus en capacité de les assumer... Je savais que ce serait humiliant. Que ce militaire me prendrait pour une faible, une incapable, qui n'aurait peut-être pas sa place ici, qui n'aurait pas justifié que Galliem prenne autant de risques... Mais non, il fallait que je le dise. Maintenant, avant de changer d'avis. Maintenant !

— A ce propos, mon Colonel...

Nouveau coup de coude.

Galliem.

Pourquoi ? Voulait-il que je me taise ? Avait-il peur que je parle ? En réfléchissant deux secondes, je compris bien assez tôt.

— Avant tout, mon, heu, frère, n'est plus inquiété par quoi que ce soit, n'est-ce-pas ? Je suis revenue, cela suffit à lever toute charge contre sa désob... son initiative personnelle ?

Le Colonel fronça les sourcils.

— C'est la Reine qui décide de ce genre de chose, sergent. Vous m'étonnez. Mais assez parlé, vous reprendrez demain, deuxième compagnie, escadron six. J'ai encore à faire malheureusement, donc je ne vais pas vous retenir plus long...

— Attendez !

Coup d'œil furtif à Galliem. L'air résigné, je lus sur ses lèvres « Fais ce que tu veux. » 

Le Colonel avança calmement ses coudes sur son bureau.

— Sergent Walkaerys ? m'invita-t-il en me regardant droit dans les yeux.

J'inspirai.

— Je dois vous dire quelque chose. Lors de cette chute, il y a deux ans, j'ai été... blessée.

— Par toutes les infamies d'Utopie..., soupira-t-il. Vous avez l'air en pleine forme ! Qu'est-ce que vous avez ? Un genou qui débloque ? Le dos qui grince ?

— Hélas, mon Colonel, je pense que c'est pire.

— Ne me faites pas languir, dites.

— A vos ordres. Je suis amnésique.

On peut dire qu'il avait eu l'air de s'attendre à tout sauf à ça.

Son bec resta cloué. L'air brutalement désarçonné, il resta suspendu à mes lèvres, comme si j'allais expliquer, préciser, démentir... Mais je n'avais rien de plus à dire. Tout tenait dans ces trois mots, et le Colonel sembla doucement le réaliser.

Soudain, il se prit le nez entre les mains, le regard fixe sur les paperasses de son bureau. De longues secondes passèrent, puis, toujours figé, il reprit doucement la parole :

— ... Amnésique comment ?

— Elle ne se souvenait même pas de notre langue, répondit Galliem à mi-voix.

Le Colonel réfléchit encore.

— Donc il y a des choses qui peuvent revenir, si elle la parle aujourd'hui.

— Peut-être, concédai-je. Mais dans l'immédiat, je me sens autant à l'aise ici que lorsque je me suis réveillée sur Terre.

— Et voilà un exemple, lâcha-t-il, avant de me souffler qu'on disait Terremeda.

Une bonne minute s'écoula encore. Puis, soudain, le Colonel plaqua une main sur son bureau.

— Très bien, j'ai pris ma décision. Walkaerys — mademoiselle — vous reprendrez demain comme convenu. Mais dans le groupe des premières recrues. Un sergent amnésique, c'est de la folie. On laissera le sergent An-Chenlei à votre ancien grade. Ça nous épargne de l'administratif, ce n'est pas négligeable. Il faudra que vous prêtiez serment à nouveau, et, bien entendu, il n'y aura pas de traitement de faveur de vos formateurs. Ai-je été clair ?

— Très clair... mon Colonel.

— Bien. Quant à vous, Walkaerys.

Cette voix menaçante était pour Galliem.

— Il va de soi que Sa Majesté sera avertie de l'état de l'ex-sergent. De ce fait, je ne garantis pas que vous restiez longtemps sous mes ordres. Mais CEPENDANT. Tant que vous le serez, je compte sur votre ferveur et votre obéissance TOTALE. On ne fait plus de vagues, soldat, est-ce bien compris ?

— Mon Colonel, affirma Galliem avec plus d'aplomb qu'il ne devait en avoir.

— Très bien ! Maintenant, soldats, rentrez chez vous. Et que j'entende du bien de vous.

Je saluai instinctivement. Puis avec Galliem, on ne demanda pas notre reste. Nous quittâmes la caserne en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.



L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant