Chapitre 27 - Vertes lueurs

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« Promis, on parlera de tout ça ce soir. »

Les mots de Galliem résonnaient encore dans ma tête bien après qu'il nous ait laissés, Troser, Fen et moi, rentrer dans la caserne. Nous avions des obligations, il ne pouvait pas rester. Je le savais, c'était normal. Cependant, depuis, je ne pouvais m'empêcher de ruminer ma frustration.

Fen aurait pu m'éclairer à propos de l'Angevert, mais mon aile cassée me dispensait d'exercice. Je passai donc mon temps assise sur une chaise dans la salle des armes, seule, à enlever les brins d'herbe des bâtons, laver les chemises, recoudre les sandales... Au lieu d'une conversation instructive que j'aurais pu attraper à la volée, j'avais à ma disposition une multitude de façons de m'ennuyer.

Pour couronner le tout, Klonor et son ami dont j'avais enfin saisi le nom – Nalesh – trouvaient sans cesse des prétextes pour passer devant ma salle, et évidemment, non pas sans y aller de leur petit commentaire, toujours empreint de toute leur intelligence.

— Les nobles, c'est pas fait pour tenir une arme ! me lança une fois Klonor avec autant de charisme qu'une huître.

Je dus contenir l'irrépressible envie d'enfoncer son visage dans le tas de chemises sales. Tout ce que je pouvais faire, c'était les ignorer. Mais l'instant d'après, ils repassaient dans l'embrasure. Les ignorer. Une petite heure plus tard, ils revenaient. Non, ne pas les écouter. Ils sortaient pour rentrer aussi sec. Je ne les entendais pas. Ils cognaient contre ma porte comme des imbéciles heureux. Je m'imaginais lancer une massine dans leur dentition provocante. Et ne répondais pas.

La journée passa si lentement que j'eus l'impression que le temps allait à reculons. Mais le soleil se coucha enfin, alors que je n'y croyais plus. Exténuée, je rentrai à la maison, tel un zombie automatisé. Mon aile — relativement lourde, pour ne rien arranger — traînait lamentablement sur le gazon derrière moi. Hors de question de la porter, mes mains me piquaient comme si je les avais brûlées.

Sans volonté de lever un bras, je poussai lourdement la porte avec mon épaule. Galliem était déjà à l'intérieur. A peine fus-je entrée qu'il insista pour me faire une tisane, en m'ordonnant de m'asseoir.

— Ne t'excite pas, je sais qu'on doit parler de la fille de la Reine, me devança-t-il. D'ailleurs, je crois que je devais déjà t'en dire un mot... Tu m'avais déjà posé la question, non ? demanda-t-il en jetant une poignée d'herbes dans un bol d'eau.

— Je préférerais que tu m'expliques ce qu'est un Angevert...

— A la bonne heure, on est d'accord.

Il me tendit sa « tisane » et me proposa d'aller la boire sur le toit. Je n'eus pas mon mot à dire, il me porta dans ses bras hors de la maison et s'envola ; je renversai la moitié de mon eau au passage. Un aller-retour plus tard, je fis un effort pour l'aider à déplier d'épais plaids en coton, puis m'emmitouflai dans l'un d'eux, en prenant garde à ne pas trop serrer mon aile. Le froid de la nuit arrivait, en concordance avec les étoiles. Revoir leur scintillement infini me fit aussitôt décompresser. Cette merveille de la nature avait un don fabuleux pour changer les idées.

Avec son entrain habituel, Galliem me raconta des anecdotes de sa journée, le temps que je me désaltère. Il me décrivit son sergent, très exigeant, mais aussi très étrange. Les exercices délirants qu'il lui imposait m'arrachèrent un sourire, par exemple, des longueurs au sol, avec les pieds dans les mains. Mais quand bien même c'était difficile, Galliem s'accrochait. Le grade de caporal lui pendait sous le nez plus que jamais.

— Je ferai des courses sur les fesses autant de fois qu'il le voudra, jura-t-il en goûtant ma tisane.

— Je n'en doute pas, répondis-je sans m'empêcher de l'imaginer. Et l'Angevert, il fait des courses sur les fesses, lui aussi ?

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant