Je m'attendais à quelque chose d'étrange. D'inhabituel. Mais, cou tordu, je ne fis qu'observer longuement les deux fines et longues cicatrices, parfaitement symétriques, qui couraient le long de mes omoplates. Elles avaient toujours été là. Evidemment, il n'y avait rien d'autre. J'avais sûrement dû délirer un peu plus dans ce rêve.
Une question bizarre me vint à l'esprit. Est-ce que tout le monde avait ces cicatrices ? Ça ne serait pas la première fois que je différerais des gens de la télé. Toutes ces femmes, tous ces hommes, ils n'avaient ni les oreilles légèrement pointues, ni les yeux plus vert que marron. Je me demandais aussi s'il était habituel que les gens fassent plus autour d'un mètre soixante, comme Jeanne et Emile, ou autour d'un mètre quatre-vingts, comme c'était le cas pour moi. Dur à déterminer en regardant un écran.
Une fois ma chemise remise et un chapeau flasque enfoncé sur ma tête, je redescendis les escaliers de bois. La télé continuait son bavardage incessant sans afficher mon visage.
Le grand-père était bien dans le petit potager. Il faisait pâle figure, entouré par des champs, mais Emile y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Une bêche à la main, il retournait la terre autour des fraisiers.
— Oh, pitchoune ! me salua-t-il. Tu es venue m'aider ?
J'acquiesçai en me saisissant d'un arrosoir.
— Oh, pas la peine de trop arroser, pitchoune. Demain, une tempête du feu de dieu va passer sur nous. Ils l'ont dit à la télé, ce matin.
Obéir était assez naturel pour moi. Avec parcimonie, je commençai à faire dégouliner la terre autour des rosiers de Jeanne.
La terre. J'aimais beaucoup ces petits grumeaux bruns et friables.
— Dommage que le temps se gâte, hein ? lança Emile. Demain, c'est un jour spécial. Tu t'en rappelles ?
Je réfléchis.
— C'est mon naniverssaire ? essayai-je.
— C'est ça, pitchoune !
Emile appelait « mon anniversaire » le jour où j'étais arrivée chez eux.
— Jeanne te fera un bon gâteau.
— Merci. Je l'aidera.
— Oh, tu sais, tu n'es pas obligée de nous aider tout le temps... Surtout pour ton anniversaire, peuchère !
Deux coups de bêche frappèrent encore la terre.
— Emile, pensai-je, est-ce que tout le monde a des cicartices dans le dos ?
— Des cicatrices, tu veux dire ?
— Oui, des cica... c'est ça.
— Elle est bien drôle, ta question, pitchoune... Tout le monde ne naît pas avec des cicatrices, mais les gens peuvent en avoir s'ils ont, je ne sais pas, des accidents, ou des opérations, des choses comme ça.
— Pourquoi a-t-on opération ?
— Eh bé... on peut être opéré pour soigner une maladie.
Je relevai l'arrosoir.
— Je suis malade ?
— Mais non, pitchoune ! s'esclaffa-t-il. Pourquoi tu me demandes ça ?
La matinée fut finalement assez sportive. Mais porter des arrosoirs pleins ne me dérangeait pas le moins du monde. Mes bras étaient toujours en quête d'exercice, et, au moins, ça me faisait passer utilement le temps. A midi pétantes, Jeanne nous rappela. Une salade de tomates, un poisson au four et une ratatouille plus tard, j'étais désignée volontaire pour ranger le grenier. Mes petits vieux ne se risquaient plus à monter l'échelle pour y accéder. Aucun problème. Je remplis ma mission avec plaisir et je redescendis même avec un petit bonus. Une mappemonde. A cause d'elle, si on peut dire, je restais éveillée le soir, jusqu'à une heure plus matinale que tardive. Les pays, les océans, incapable de lire leurs noms, je m'amusais à comparer leurs tailles.
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L'Angevert - Partie I
ParanormalAdolescente amnésique, Élise pensait que seuls les parachutistes tombaient du ciel... jusqu'à ce qu'un jeune homme s'écrase dans son potager. Le nouveau venu est différent, comme elle. Oreilles pointues, armure de cuir et grandes ailes blanches, il...