Combien de temps nous restâmes ainsi, honnêtement, je n'en avais aucune idée. Yeux fermés, je serrais mon frère sans le lâcher, comme si je retenais des secondes de paix avec lui.
Autour de nous, la folie continuait. Mais les voix des soldats me semblaient plus lointaines, les courses effrénées semblaient ralentir. Comme si le temps se suspendait un instant, pour permettre à mon angoisse des dernières heures de s'envoler.
Avoir cette andouille contre moi me faisait plus de bien que ce que j'aurais pu imaginer. Il me le fallut pour seulement réaliser combien j'étais inquiète de ne pas le voir. Mes bras me faisaient mal tant je le serrai. Galliem était bien là. Entier, debout...
Mais debout sur des jambes qui tremblaient plus que les miennes au-dessus du vide.
Et ce ne fut que la première évidence, avant que le reste ne me saute aux yeux.
Galliem tentait de ne pas se reposer sur moi. Sa tête contre la mienne était poisseuse. Son souffle, sur lequel je me concentrai vite plus que toute autre chose, était irrégulier. Je voulus me reculer ; il m'empêcha de le faire.
— Ly, je vais bien, glissa-t-il.
Espérait-il que cette voix de vieillard en fin de vie me rassurerait ?
— Laisse-moi en juger, m'étouffai-je en le poussant.
— Je vais bien, je te dis.
Son souffle trahit un rire.
— Toi je t'ai vue, tu t'es pris un éclair. Ça aurait pu être bien pire, tête de Mignoche.
Je me tournai vers lui de force, il ne lutta plus.
Comment avais-je fait pour ne pas le voir à la première seconde ?
La plus grande partie de ses cheveux trempait dans un bain chaotique de sang à moitié sec. Il s'était pris un coup, ou plusieurs, avait perdu connaissance, sans doute. Des coulures brunâtres striaient son cou et ses épaules, tâchaient sa chemise dont les manches avaient disparu. A la place, sur ses bras, se trouvait un nombre incalculable de griffures. Ou plutôt de coupures. Je remarquai vite les formes dessinées sur ses bras : des triangles, beaucoup de triangles, que des triangles. Dessinés par deux, reliés par la pointe, à la façon d'un sablier géométrique.
Une explication. Il me fallait une explication. Qui avait fait ça, comment, pourquoi. Le fait qu'il n'y avait pas forcément de réponse à cette dernière question me faisait perdre mes mots.
— Galliem... Par tous les cieux...
Son regard dépité m'encourageait à l'observer sous toutes les coutures.
— Lequel t'a fait ça ? me précipitai-je.
— Tu me fais radoter, ma vieille. Je te dis que je vais bien !
Je ne pouvais plus me détacher de son visage bougon, entouré de tout ce rouge qui ne lui allait vraiment pas. Fermement, je le repris dans mes bras, geste auquel il répondit en se dandinant sur ses pieds avec un « Oh la la... ». Je revoyais ces soldats poussés dans le vide avec leurs ailes blessées. Et je le voyais lui, dans cet état... J'avais besoin de sentir que c'était vrai. Qu'il n'était pas un mirage.
L'euphorie de l'éclair redescendait. Je repensais à tout ce que nous venions de vivre. Les corbeaux. La marée d'ailes noires. Les épées, le géant aux lambeaux, les nuages sous mes pieds. Puis cette frêle créature, apparue en haut de la tour, qui, en une seconde, avait retourné la situation.
Mes poings se serrèrent dans le dos vibrant de Galliem. Distraitement, je le forçai à prendre appui sur moi.
« Que serions-nous devenus, me demandai-je. Que ferions-nous, maintenant, si elle n'avait pas lancé ce foutu éclair ? »
VOUS LISEZ
L'Angevert - Partie I
ParanormalAdolescente amnésique, Élise pensait que seuls les parachutistes tombaient du ciel... jusqu'à ce qu'un jeune homme s'écrase dans son potager. Le nouveau venu est différent, comme elle. Oreilles pointues, armure de cuir et grandes ailes blanches, il...