Chapitre 11 - Au sommet du nuage

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La corde s'arrêta près d'un escalier de pierre blanche, précédé d'un parterre de dalles, imbriquées les unes dans les autres jusqu'au bord du vide de la galerie. Les derniers mètres pour accéder au ciel se faisaient à pied, il fallait que je descende de mes drôles d'étriers.

— De l'aide, sergent ?

Je levai la tête vers le meneur des soldats qui m'escortaient, et réalisai deux choses. Une, qu'il fallait vraiment descendre. Deux, que j'étais aussi raide qu'une statue, et dangereusement incapable de le faire.

— Non, ça ira, je vous remercie.

J'aurais mieux fait de ne pas jouer les héros, pour une fois.

Toujours au-dessus de la galerie menant directement au passage des cordes, je lançai maladroitement mon pied nu vers la plateforme, à un bon mètre de moi. Mais ce que je n'avais pas prévu, c'était que ma jambe s'était ankylosée, et était devenue aussi solide et fiable qu'un gros morceau de caoutchouc.

Avec horreur, je sentis mes muscles se courber tels de gros ressors sous mon poids. Mes mains avaient lâché les poignées une seconde trop tôt. Sidérée par l'absurdité de la situation, je réalisai à peine que j'étais en train de basculer dans le vide.

Une main ferme agrippa solidement mon bras. Tirée en avant, mes jambes molles reprirent place sur du solide. Je m'éloignai du rebord en vitesse.

— La remontée depuis Terremeda a dû être rude, sergent, commenta le soldat, amusé. Permettez-moi de vous réitérer ma proposition. Vous semblez vraiment avoir besoin d'aide.

Le bord de la galerie, pâli par les dalles blanches au soleil, se détachait si bien du vide qu'il en venait à le mettre en valeur. Le souffle court, je concédai :

— Vous avez raison, soldat.

— Caporal Trimidis, à vos ordres, me rectifia-t-il, en se présentant par là même.

J'avais des fourmis dans les pieds. D'un pas mal assuré, je gravis les quelques marches qui me séparaient du sommet du nuage, en restant prudemment proche du bras du caporal, que je ne saisis finalement pas. Rapidement, j'aperçus des brins d'herbe à hauteur de mon front, avant que ma tête ne dépasse du sol...

J'avais pris sur moi pendant ce voyage en terre inconnue. Mais ici, cette fois, impossible de jouer les impassibles.

Un château. Il y avait un château sur ce nuage.

Splendide, blanc comme neige, imposant, mais en même temps fin et délicat, rempli de gravures toutes plus détaillées les unes que les autres. Ses tours, grandes et belles, de tailles diverses, s'élevaient en pointes ornementées au-dessus d'une prairie impeccable. Celle-ci s'arrêtait au pied d'une sorte de muraille à deux étages. Je repérai aussi d'autres bâtiments dans le lointain, blancs eux aussi, ainsi que des silhouettes, ici ou là. Des soldats volaient haut au-dessus de nous, plus loin, des dizaines de têtes courraient le long de la muraille. Ailleurs, un groupe se... roulait par terre ?

— L'entrainement du sergent Armayos vous avait manqué ? demanda Trimidis en me voyant les observer.

— Que... ? Non, non, pas vraiment.

— Donc vous étiez bien passée sous ses ordres. Je n'étais pas certain. Mais pardonnez-moi de couper court à votre nostalgie, nous sommes pressés. Vous savez aussi bien que moi que les directives de la Reine ont priorité absolue.

— Bien sûr, caporal, je le sais parfaitement bien...

Mes pas s'accordèrent sur les leurs, droit vers le bâtiment le plus proche, une sorte de grande basilique toute en rondeurs, moitié moins haute que le château, mais non moins belle, et aussi blanche que lui. Une fois à l'intérieur, je découvris étonnement que l'endroit ressemblait plus à une caserne qu'à une église. Les soldats entraient, sortaient, les têtes grouillaient, toutes concentrées, pressées. Des bâtons, des chemises, des plastrons... tout le nécessaire du soldat était disposé sur les murs. Il y avait également du mobilier, qui paraissait à côté totalement inutile. Un incroyable lustre en cuivre et bougies, un lourd tapis... Je me serais presque crue chez un riche collectionneur, avec de très nombreux domestiques.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant