Chapitre 51 - Un caporal et un sergent

273 46 28
                                    


Ironiquement, le temps passa plus lentement que jamais. Pourtant, j'étais bien certaine de ne pas y toucher. Assise dans l'herbe, loin de l'antre des Gardes, je gardais les yeux rivés sur mes paumes, attentive à la moindre réapparition de la lumière.

J'avais encore du mal à réaliser que tout ceci était réel. Surtout concernant la voix. En quête de cohérence, j'aimais me répéter que j'avais eu un moment de faiblesse. La panique pouvait sans doute pousser à s'inventer ce genre d'interlocuteur, tranquille et confiant, pour s'aider à y voir plus clair. Ce n'était pas le plus rassurant pour ma santé mentale, mais ça demeurait le plus crédible. Les zones d'ombres, laissées par cette réponse pratique, me faisaient cependant encore beaucoup réfléchir. Si cette voix provenait de mon imagination, pourquoi avais-je du mal à trancher entre timbre féminin et masculin ? Pourquoi n'était-elle pas inspirée de quelqu'un que je connaissais ?

Ce fut un mouvement silencieux vers le château qui me sortit de ma longue prise de tête. Les portes s'ouvraient sur un Galliem, clopinant sur sa canne, qui déboula dans les escaliers. Ne pas rejoindre les heureux promus paraîtrait plus que suspect. Avec une inspiration, que je voulais encourageante, je me relevai du gazon, les poings bien comprimés.

Les caporaux et véritables soldats de l'Armée Blanche reformaient une petite assemblée joyeuse sur le parvis. Selon la logique de la hiérarchie, j'étais désormais la moins gradée de tout ce beau monde. Cette idée bien en tête, je prenais un soin méthodique à contourner Klonor, quand je repérai deux serviteurs, qui sortaient à leur tour de l'entrebâillement. Je les regardai, ils me regardèrent. Puis, après cet échange froidement distant, l'un d'eux fit un geste du menton dans ma direction, l'air de dire « monte ».

Inconsciemment, je fis un pas en arrière. Le manège avec Migonem avait-il été repéré ? Aucun signe de la Garde ne venait trahir une volonté hostile du château, mais était-ce un piège ? Le serviteur ne me paraissait pas non plus particulièrement courroucé. Son attitude renvoyait plutôt à... une grande impatience.

Des yeux curieux commençaient à se poser sur moi. Les doigts plus serrés qu'un nœud de corde, je me résolus à rejoindre les nouveaux arrivants, lentement. 

— Lyruan Walkaerys, nouvelle recrue de la deuxième division, lut nonchalamment l'homme en toge à mon arrivée.

— C'est moi.

L'autre, à côté de lui, portait un bout de tissu rouge. Dans les bras d'un personnel du château, la couleur m'aurait surprise, si je n'étais pas autant occupée à vérifier qu'on ne s'apprêtait pas à me tomber dessus par les airs.

— Eh bien, soupira soudain le serviteur. Je vous écoute, Lyruan Walkaerys.

Alors ça, je ne m'y attendais pas. Voulait-il que je me confesse ? Ou souhaitait-il tout simplement que je m'excuse, d'avoir utilisé le pouvoir de l'Angevert ? Après tout, si on me le demandait, pourquoi m'asseoir dessus, j'avais peut-être là une chance d'en finir sans encombres...

— Je...

Un reflet attira par hasard mon attention sur ce qui pendait à son cou. Par mes plumes, on lui avait confié l'insigne. Le seul quadricolor de l'armée, l'insigne du Général, l'insigne de la Couronne. 

Cet homme peu aimable changea drastiquement de statut à mes yeux. Je ravalai ma phrase, en comprenant tout à coup pourquoi j'étais là. On ne me demandait pas de tout dévoiler. On attendait autre chose de moi. A cheval sur deux marches, aux portes du château dont j'étais interdite d'accès, je m'agenouillai de mon mieux.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant