Chapitre 36 - Corbeau

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Sous les commandements du sergent Armayos, j'eus beaucoup moins de travail. Cela venait du fait, d'une part, que les aspirants-caporaux avaient fini leur formation. Ils s'occupaient avec des petites corvées en attendant leur appel pour monter en grade. D'autre part, ce sergent réputé pour ses entraînements farfelus était surprenamment attentif au bien-être de ses soldats. La plupart du temps, il m'envoyait en rééducation chez le Sagevert. Je ne m'en plaignais pas. Au contraire, croiser chaque matin le caporal Migonem, fulminant de rage sur sa route pour les Poulies, était pour moi un plaisir, certes orgueilleux, mais un plaisir quand même. Néanmoins, si son objectif avait été de m'éloigner du groupe, je lui avais cédé cette victoire. Le maigre salut que nous pouvions nous échanger de loin avec Fen et Pleh ne cessait de me le rappeler.

Comme chaque jour, j'allai donc rendre visite à ce cher médecin-magicien. A nouveau, il m'accueillit avec le sourire et cette superbement pratique cape à capuche verte, qui ne montrait que la moitié âgée de son visage. Sans aucun doute, ce vêtement y était pour beaucoup dans mon rapprochement avec cette personne.

Le même protocole se répéta. Le Sagevert attira de l'énergie avec sa massine — un moment que je trouvais toujours fort désagréable, sans doute en souvenir de la mauvaise expérience de la dernière fois —, puis de la massine à sa main, grâce aux plaquettes de métal, dont il changeait parfois la position sur ses doigts ou sa paume avec un autre gant.

D'abord, il vérifia la guérison de mon aile sortie. « En très bonne voie », apparemment. Il la fit bouger avec mon aide pour que je reprenne l'habitude des sensations. Mais après vint la partie la plus compliquée pour lui : observer et soigner l'autre aile, la gauche, sans qu'elle ne sorte de mon dos. Une prouesse que j'avais du mal à imaginer.

— Excusez-moi, mais comment se fait-il que les ailes disparaissent quand on le souhaite ? demandai-je soudain, pensive.

— Elles ne disparaissent jamais, me répondit tranquillement le Sagevert en passant une énième fois ses doigts sur mon omoplate. Elles se rétractent simplement dans un autre temps, une autre dimension temporelle, qui aurait existé si notre espèce n'avait pas développé ces appendices dorsaux très commodes.

— ... J'avoue que je ne comprends pas.

Il s'arrêta, puis vint un instant face à moi.

— A l'origine, notre espèce descend des humains de Terremeda, dit-il avec un air de vieux professeur qui lui correspondait bien. Nos ancêtres vivaient dans des régions pleines de grands monticules partant du sol pour finir en pointe.

Voir un scientifique-dieu mimer des montagnes avec ses mains fut assez cocasse.

— Et nos ancêtres n'ayant pas d'ailes, la nature leur en a fourni au cours des générations. Ils ont alors pu explorer les cieux, mais là n'est pas la question. Pour ce qui est de la pseudo-disparition des ailes, vous devez vous en douter, c'est l'Angevert qui a permis ça. Il y a de cela plusieurs centaines d'années, des scientifiques qui étudiaient son pouvoir — mes collègues ! — ont trouvé le moyen de l'utiliser pour modifier génético-temporellement notre espèce. Pour simplifier la chose, s'empressa-t-il d'ajouter devant mon regard désabusé, une infime partie du pouvoir de l'Angevert réside en chacun de nous. Cela nous permet, à chaque fois que nous le désirons, de téléporter nos ailes au moment où elles n'existaient pas, c'est-à-dire il y a bien longtemps, quand notre espèce était sur Terremeda.

J'essayai de remettre les informations dans l'ordre.

— Mais alors, elles disparaissent vraiment ? tentai-je.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant