Chapitre 41 - L'éclair

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Jamais je n'aurais pensé que cette sensation me prendrait autant par les tripes.

L'horreur.

Mes jambes se balançaient dans le rien, poussées par le vent. Même en les tendant, en les poussant à droite, à gauche, mes pieds continuaient de battre le vide. De l'air. Il n'y avait que de l'air. Et des sueurs froides, transformées en givre par le froid mordant du vent en furie.

L'Utopien masqué me regardait. Je savais qu'il me regardait. Il m'observait dans mes tentatives plus imaginées que testées de foutre le camp. Il devait savoir qu'il m'humiliait. Que faire durer la situation, comme il le faisait, en sachant que tout était joué, était la pire des tortures. Et cet immobilisme, alors que je dépensais mes dernières forces dans une lutte pour la vie, était un affront incroyable. Inlassablement, je serrais les mains, plantais les ongles dans son gant, pour grappiller un millimètre loin de ma gorge, une seconde de plus d'oxygène. Lui, il ne bougeait pas. C'était presque à en donner envie de tout abandonner. Mais une rengaine se répétait dans ma tête, encore et toujours. Je resterais digne. Digne. Digne. Si ces mots n'étaient pas ancrés en moi, au bord de la chute, je lui aurais fait ce plaisir de me laisser mourir dans sa main.

Comme bien trop de fois, je ne pus m'empêcher de jeter un œil flou en-dessous de moi. Les murailles semblaient toujours aussi vides. Elles s'enroulaient, brumeuses et lugubres, sur des centaines de mètres sous mes pieds. Encore plus bas, je vis cette immense tâche d'un blanc faussement tranquille, marquant la frontière avec Terremeda. C'était ça. C'était ça que je ne pouvais pas regarder. Ces nuages qui m'appelaient, avec un air sournois de déjà-vu.

Mon cœur se mit à palpiter de plus belle. J'avais chaud. Froid. Je voulais partir. Avoir quelque chose sous mes pieds, courir loin d'ici. Mes doigts glacés se figèrent sur la main du squelette noir. Je voulais la déchiqueter. La tordre, la rompre. Je voulais être indomptable, lui faire peur, qu'il me lâche, qu'il me laisse partir. Mais par dessus tout, je voulais me réveiller. Me réveiller de ce cauchemar. Pour mieux l'oublier. Cette nouvelle agitation ne fit pas réagir l'autre muet. Il ne riait même pas. Pourtant, son amusement était perceptible. Au premier sens du terme. Ses doigts commençaient à se décoller de ma peau. Un par un.

Un cri étranglé m'échappa malgré moi. Mon menton glissait, l'oxygène regonflait mes poumons à grand coup d'inspirations, ma poigne sur son bras se raffermissait du mieux que je pouvais encore le faire. L'asperge floue fit mine de dégainer une épée ; je l'entendis plus que je ne le vis. Mais il n'avait pas l'air de comprendre. La menace d'une lame ne me faisait pas peur. Quitte à tomber, perdre ma vie avant ne me dérangeait pas. Au contraire.

« Il va te lâcher, Lyruan. Il va te lâcher. »

Si je retrouvais de ma lucidité pour me dire ça, c'était bien inutile.

« Il faut tenter quelque chose. Maintenant. Ou jamais. »

Soudain, j'eus le déclic.

La chute. Le vent. La peur. La solitude.

Je ne voulais pas. Je ne pouvais pas revivre ça. Mes jambes jouèrent le jeu du vent, se balancèrent avec lui. Elles me donnèrent de l'élan. Une dernière fois, je me tordis, pour essayer d'appuyer de toutes mes forces sur le bras noir avec mon coude.

Était-ce de l'inattention ? Ou avais-je réussi à le surprendre ?

Le bras de l'Utopien fléchit. Un très court instant. Peut-être même moins que ça. Ça aurait été ma victoire.

Ma courte victoire.

Sa main me lâcha.

Mon cri fut bien plus fort que ce que je m'aurais crue capable de produire. Affolée, mon aile me permit de rattraper son poignet tendu in extremis. Mais je glissais. Je glissais, et mes muscles rompus, écartelés, me hurlaient que c'était le mouvement de trop.

L'Angevert - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant